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Dès qu’il eut vu ses ordres fidèlement exécutés, la flotte anglaise formée sur deux lignes de file et cinglant sous toutes voiles vers nos vaisseaux, Nelson se retira dans sa chambre. Il prit le journal sur lequel il avait noté, le matin même, les derniers mouvemens de son escadre, et, à genoux, écrivit cette courte prière


« Puisse le Dieu toujours grand que j’adore accorder à l’Angleterre, pour le salut commun de l’Europe, une complète et glorieuse victoire ! Puisse-t-il permettre qu’aucune faiblesse individuelle n’en ternisse l’éclat, et qu’après la victoire aucun Anglais n’oublie les droits sacrés de l’humanité ! Pour moi personnellement, ma vie appartient à celui qui me l’a donnée. Qu’il bénisse mes efforts, pendant que je combattrai pour mon pays ! Je remets en ses mains ma personne et la juste cause dont on m’a confié la défense. »


Après avoir accompli cet acte religieux, Nelson, amant aveugle, crut remplir un nouveau devoir en léguant, par un codicille ajouté à son testament, lady Hamilton et sa fille, Horatia Nelson, à la reconnaissance de l’Angleterre[1]. Ainsi préparé à mourir, il remonta sur le pont : les capitaines des frégates, qu’il avait fait appeler, attendaient ses ordres. Il s’approcha du commandant de l’Euryalus, le capitaine Blackwood, qui partageait avec le capitaine Hardy sa confiance et son affection : « Les commandans de nos frégates verront l’ennemi de près aujourd’hui, lui dit-il, car je veux les garder sur le Victory le plus long-temps possible. » Nelson, s’il faut en croire le témoignage du capitaine Blackwood, était en ce moment calme et résolu, mais plus grave et plus solennel que de coutume. Plusieurs fois, remarquant « la bonne contenance de la flotte combinée, » il exprima le regret que cette flotte eût viré de bord, et parut observer avec une secrète anxiété l’horizon déjà menaçant et le champ de bataille transporté, par la manœuvre de Villeneuve, de l’entrée du détroit à la hauteur des récifs dangereux de Conil et de Santi-Petri. Vers onze heures, il descendit dans les batteries, où les canonniers étaient déjà à leur poste, complimenta les officiers sur les bonnes dispositions qui avaient été prises, adressa quelques mots d’encouragement à chaque chef de pièce, et, retrouvant toute sa confiance

  1. Ce double legs de Nelson fut répudié par l’Angleterre, car une injuste réprobation confondit dans le même oubli le seul rejeton d’un héros et la femme odieuse qui avait souillé sa gloire ; mais les héritiers légitimes du vainqueur de Trafalgar reçurent de splendides témoignages de la munificence du pays. Le parlement accorda, sur la demande du ministère, une rente viagère de 50,000 francs à la veuve de lord Nelson ; une rente perpétuelle de 125,000 francs, reversible sur celui de ses descendans qui hériterait du comté de Nelson, fut constituée avec ce comté en faveur de l’aîné des frères de l’amiral. Une somme de 2,475,000 francs fut en outre consacrée à l’acquisition d’une terre destinée à ajouter à l’éclat de ce nouveau titre. Les deux sœurs de Nelson reçurent chacune 375,000 francs. En évaluant les rentes au taux de 5 pour cent, ces diverses libéralités du parlement formeraient un capital de plus de 6 millions de francs.