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à la vue de ces mâles figures et de ces bras nerveux, ne songea plus qu’à donner le signal de l’attaque à Collingwood.

Ce signal fut bref et précis : « J’ai l’intention, fit-il savoir à Collingwood par le télégraphe, de traverser l’avant-garde ennemie pour l’empêcher d’entrer dans Cadix. Quant à vous, coupez l’arrière-garde vers le douzième vaisseau à partir du serre-file. » Et, pendant que le Royal Sovereign s’apprêtait à exécuter cet ordre, il dirigeait le Victory vers la Santissima-Trinidad, le onzième vaisseau de notre avant-garde. Par ce double mouvement, il allait embrasser non plus 12 vaisseaux avec 16, comme il l’avait annoncé, mais 23 vaisseaux ennemis avec 2. « Il me faut au moins 20 vaisseaux de cette flotte, avait-il dit au capitaine Blackwood dans cet enivrement où le jetait l’approche du combat ; moins de vaisseaux ne serait pas une victoire ! » Sans la crainte que Villeneuve ne se réfugiât dans Cadix en lui abandonnant une victoire incomplète, il est probable que Nelson, plus fidèle à son plan primitif, eût dirigé moins imprudemment cette première attaque. On peut croire surtout qu’au danger d’attaquer la flotte combinée debout au corps, il n’eût point ajouté, de gaieté de cœur, le danger, plus grave encore avec une brise incertaine et faible, de l’attaquer sur deux lignes de file ; mais l’ardeur de son ame l’emportait en ce moment sur les conseils de la tactique. Toute évolution nouvelle eût été une perte de temps, et, en fait de périls, le plus grave, à ses yeux, était de laisser échapper Villeneuve, comme l’avait fait Calder. Quelle chance cependant nous ouvrait son impétuosité ! Avant d’avoir amené sur le lieu de l’action des forces proportionnées aux nôtres, Nelson (tout semblait l’annoncer) devait voir ses premiers pelotons infailliblement écrasés par nos masses, comme des cavaliers qui, pour enfoncer un carré, au lieu de se réunir et de charger ensemble, se diviseraient et chargeraient l’un après l’autre[1].

Les deux flottes cependant n’étaient plus séparées que par une distance de quelques milles. Debout sur la dunette du Victory, Nelson venait de signaler à son armée de se préparer à jeter l’ancre avant la fin du jour, « Ne pensez-vous pas, dit-il au commandant de l’Euryalus, qu’il nous reste encore un signal à faire ? » Il sembla réfléchir quelques instans, et appelant un des officiers attachés à son état-major : « Monsieur Pasco, lui dit-il, adressez ce signal à l’escadre : L’Angleterre compte que chacun fera son devoir. » On sait quel enthousiasme accueillit ce célèbre message, et quelle magique ardeur, quelle vigueur nouvelle il répandit dans les rangs de la flotte anglaise. « Maintenant, dit Nelson, je ne puis

  1. « … Ce dédain des règles dans le mode d’approcher l’ennemi tenait seulement à des circonstances particulières. On peut le regarder comme la conséquence de cette décadence des marines européennes qui nous avait appris à nous relâcher de notre système de guerre et à mépriser les leçons de la prudence. » (Traité d’artillerie navale, par le général sir Howard Douglas.)