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années, cet obscur espace privé d’air et inondé de sang. Il s’élance sur le pont. Au milieu du tumulte, à travers la fumée, il reconnaît Nelson et le capitaine Hardy se promenant sur le gaillard d’arrière. Non loin d’eux, quelques hommes échangeaient une vive fusillade avec les hunes du vaisseau français. Tout à coup, l’amiral chancelle et tombe la face contre terre. Une balle, partie de la hune d’artimon du Redoutable, l’avait frappé sur l’épaule gauche, avait traversé l’épaulette, et, après avoir labouré la poitrine, s’était logée dans l’épine dorsale. Le chapelain accourt ; mais, avant lui, un sergent et deux matelots timoniers sont près de l’amiral. Ils le relèvent tout souillé du sang dont le pont est couvert. Hardy, qui n’a point entendu le bruit de sa chute, se retourne alors, et, plus pâle, plus ému que Nelson lui-même : « J’espère, milord ; s’écrie-t-il que vous n’êtes pas dangereusement blessé ! — C’est fait de moi, Hardy, répond l’amiral ils y ont enfin réussi. J’ai l’épine du dos brisée. » Les matelots qui l’ont relevé l’emportent dans leurs bras et le déposent dans l’entrepont, au milieu de la foule des blessés.

La brise, presque éteinte par la canonnade, n’avait encore amené, à une heure un quart, au moment où fut frappé Nelson, que 5 vaisseaux anglais sur le champ de bataille. A l’arrière-garde, le Royal Sovereign avait combattu seul pendant quinze minutes. Le premier après lui, le Belleisle avait coupé la ligne, à midi et demi, en arrière de la Santa-Anna ; mais, déjà mutilé par les bordées d’enfilade qu’il venait de recevoir, démâté de son mât d’artimon par le Fougueux, le Belleisle s’était trouvé enfermé lui-même dans un cercle de vaisseaux ennemis. Bientôt, cependant, les vaisseaux anglais arrivent en foule de ce côté : le Mars s’attaque au Pluton, le Tonnant à l’Algésiras ; le Bellerophon, le Colossus, l’Achilles, traversent la ligne ; le Dreadnought, de 98, le Polyphemus, de 64, les suivent de loin sous toutes voiles ; le Revenge, LE SWIFTSURE, le Defiance, le Thunderer et le Defence se détachent vers la droite pour doubler l’arrière-garde et la mettre entre deux feux. C’est déjà dans cette partie de la ligne un combat général : c’est encore un engagement particulier à l’avant-garde et au corps de bataille. Là, en effet, Dumanoir, avec ses 10 vaisseaux, forme une réserve que les vaisseaux anglais ne songent point à attaquer. Le Bucentaure et la Santissima-Trinidad canonnent de loin le Téméraire, LE NEPTUNE et le Leviathan, qui se dirigent sur eux vent arrière ; le Redoutable, seul aux prises avec le Victory, le presse avec une nouvelle vigueur.

Le pont de ce dernier vaisseau est devenu désert : de la hune d’artimon du Redoutable, on en prévient le capitaine Lucas. Il appelle à l’instant ses divisions d’abordage. En moins d’une minute, les gaillards du vaisseau français sont couverts d’hommes armés qui se précipitent sur la dunette, sur les bastingages et dans les haubans. Les canonniers du