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marine anglaise, cette ferme discipline, cette régularité dans le zèle que nous pouvons envier encore aujourd’hui. Nelson apprit alors de Jervis « à conserver des équipages valides sans interrompre ses croisières, à maintenir pendant des années entières ses vaisseaux à la mer sans les renvoyer au port, à mettre en première ligne, avant des soins plus frivoles (frippery and gimcrack), l’instruction militaire et pratique de la flotte (the exercise of the great guns and the pratical seamanship). » Son heureuse nature lui vint ensuite en aide, et d’une armée disciplinée fit une armée de frères (a band of brothers). Seul avec Collingwood, Nelson a possédé cette science du commandement, énergique sans dureté, persuasif sans faiblesse, agissant par prestige bien plus que par autorité. Idole de ses matelots, il posséda au même degré l’affection, plus difficile à conquérir, des officiers de son escadre ; mais ce sentiment précieux, il ne lui suffisait point de l’obtenir pour sa personne : il voulait, — sage et grande politique, — le faire régner dans la flotte entière et pénétrer d’un dévouement mutuel tous ces hommes destinés à combattre ensemble. Dans la baie de Naples, sur les côtes de la Baltique, devant Toulon comme devant Cadix, en présence des préoccupations les plus graves, des péripéties les plus pressantes, il sut trouver le temps de s’interposer dans les moindres querelles et d’étouffer d’une main prévoyante les conflits qui allaient éclater. C’est surtout en voyant cet homme illustre descendre à ces soins concilians, s’abaisser à ces humbles négociations, que l’on comprend mieux quelle peut être la salutaire influence d’un chef aimé sur l’escadre qu’il commande. Loin de se retrancher, au nom de je ne sais quelle fausse dignité, dans des régions en quelque sorte inaccessibles, Nelson se mêlait, au contraire, de tout son pouvoir, à la vie intime de sa flotte, en devenait bientôt le centre, et, attirant vers lui toutes ces volontés près de se diviser, les confondait dans une seule pensée, les faisait converger vers un but unique : l’anéantissement de nos flottes.

Ce, qui assurait d’ailleurs à Nelson un dévouement facile, un concours empressé de la part de ses officiers, c’était la lucidité naïve de ses ordres, la netteté de ses instructions. « Je suis prêt, disait-il souvent, à sacrifier la moitié de mon escadre pour détruire l’escadre française. » Tout plein de cette idée, il est sans exemple qu’il ait blâmé un officier malheureux, ou manqué à le défendre. Le capitaine zélé, à ses yeux, n’avait jamais tort. S’il perdait son navire, il méritait d’en obtenir un autre. « Je ne suis point, écrivait-il dans un cas pareil à la rigoureuse amirauté, de ces gens qui ont peur de la terre. Ceux qui craignent d’approcher de la côte feront difficilement de grandes choses, surtout avec un petit navire. On peut se consoler de la perte d’un bâtiment ; mais la perte des services d’un brave officier serait, suivant moi, une. perte nationale. Et, permettez-moi de vous le dire, milords, si j’avais