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retire aussi la protection qui les couvre, non pas tout d’un coup, mais à mesure qu’ils auront pu s’organiser en vue de leur situation nouvelle. À ces conditions, la concurrence étrangère, loin de leur être fatale, ne fera que les fortifier davantage, soit en leur offrant des exemples, soit en développant encore mieux dans leurs ateliers le principe si fécond de la spécialité des travaux. C’est alors qu’ils jouiront, sur un marché agrandi où ils ne connaîtront plus de maîtres, d’une prospérité réelle, que toutes les faveurs du régime présent sont impuissantes à leur donner.

Il va sans dire que la protection de 30 à 35 pour 100 qu’on accorde aujourd’hui aux mécaniciens, pour les dédommager tant bien que mal de la cherté du fer qu’ils emploient, est faite aux dépens des manufacturiers qui se servent des machines. Ainsi le mal se communique, et non pas, comme on l’a vu, en s’affaiblissant. Si la cherté artificielle du fer affecte d’une manière si grave le travail du mécanicien, pour combien comptera-t-on dans les manufactures l’influence du renchérissement artificiel des machines ? À cet égard, les manufacturiers consultés ont ordinairement, surtout lorsqu’ils sont protectionistes, deux poids et deux mesures. S’agit-il d’établir le chiffre de la protection qui leur est nécessaire, ils enflent leur estimation ; vient-on, au contraire, mettre en balance devant eux les avantages et les charges du régime protecteur, pour leur faire comprendre les funestes illusions de ce régime, ils atténuent aussitôt les résultats[1] : dans l’un et l’autre cas, ils se trompent, parce qu’ils négligent toujours, sans le savoir ou sans y prendre garde, les principaux élémens de ce calcul. Une seule considération entre mille fera comprendre toute la vanité, toute l’insuffisance de ces évaluations. Quand les machines sont à bas prix, les industriels qui s’en servent craignent peu d’en changer et adoptent sans effort tous les progrès que le temps amène. Il n’en est pas ainsi là où les machines sont chères, et l’on entrevoit d’ici les conséquences. Le plus grand des filateurs de lin de l’Angleterre, M. Marshall, de Leeds, a renouvelé trois fois son matériel en peu d’années, et c’est par là qu’il s’est maintenu constamment au niveau du progrès. Que l’on propose donc à un filateur français d’en faire autant ! Outre que les capitaux sont plus rares en France, les machines y sont trop chères pour qu’on se permette des satisfactions semblables : aussi n’y faut-il guère moins qu’un incendie pour déterminer dans un établissement quelconque un changement si radical. En général, le fabricant français garde ses machines telles qu’elles sont, et les fait fonctionner tant bien que mal jusqu’à

  1. Il est juste de dire qu’il ne peut pas y avoir à cet égard de mesure exacte et générale, parce que cela varie beaucoup selon le genre de la fabrication.