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exprimées dans le beau travail de M. de Rémusat, y joindrons-nous quelques vues de détail, quelques aperçus secondaires. M. de Rémusat a parlé avec intérêt des premières années de cette existence soumise de bonne heure à la forte discipline de l’étude et des mœurs. La famille de M. Royer-Collard, ainsi que la plupart de celles qui habitaient la petite ville de Champagne où il naquit, conservait comme un culte pieux le souvenir et les traditions de Port-Royal. Les livres et les éminens personnages de Port-Royal suscitèrent ses premières admirations ; ce furent là ses grands hommes de Plutarque. On peut dire qu’ils donnèrent la forme non-seulement à sa croyance, mais à sa pensée, et même, à quelques égards, à son caractère. Il en aima de bonne heure la foi sérieuse associée à cette ferme opposition en face de l’autorité. Il en garda le haut bon sens, l’ardeur de la conviction, la logique véhémente au besoin armée d’ironie, et le caractère imposant. Port-Royal passionné et raisonneur, respectueux et libre, eût reconnu M. Royer-Collard pour un des siens. Certes il est le seul, dans notre siècle, sur lequel il soit permis, je ne dis pas d’affirmer, mais de hasarder même un tel jugement. Serait-ce abuser du rapprochement ? Il me semble que, par suite de ce même désir d’allier la liberté avec le respect du pouvoir établi, le rôle de M. Royer-Collard dans le gouvernement a été un peu celui de Port-Royal dans l’église. L’attitude de l’un devant la royauté me rappelle celle de l’autre devant la cour de Rome, une opposition qui se tient en garde contre la révolte, une indépendance qui voudrait ne pas être hostile, une conviction qui proteste avec force, même au sein de la soumission. M. Royer-Collard ne voulut pas faire hérésie dans la monarchie d’avant 1830, mais il est certain qu’il y fit secte. Il eut l’air d’un révolutionnaire aux dévots de la royauté, et parut un peu en retard aux purs libéraux. C’est juste la position de Port-Royal entre les catholiques ultramontains et les philosophes.

M. Royer-Collard continua et compléta cette éducation qu’il reçut dans la famille, d’abord à Chaumont, puis à Saint-Omer, sous les pères de la doctrine chrétienne. Telle est, pour le dire en passant, l’origine assez peu connue de ce mot de doctrinaire, qui lui fut plus tard attribué, ainsi qu’à ses disciples, à titre d’éloge ou d’injure. Voici à quelle occasion il en fut baptisé. M. Royer-Collard, enseignant le système représentatif à la tribune d’une chambre assez peu disposée à le comprendre, se trouvait amené souvent à prononcer le mot de doctrine. « Ah ! voilà bien les doctrinaires, » s’écria un des plaisans de la majorité. Ce nom resta, il resta dans le langage de la tribune et de la presse, symbole très divers, on le sait, suivant l’optique des partis.

Reçu avocat à Paris, M. Royer-Collard put y contempler un spectacle bien propre à élever son ame déjà si haute et à décider des principes d’un esprit naturellement si réfléchi. C’était le temps où la France,