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de démontrer à un auditoire de jour en jour plus nombreux et plus persuadé, la logique et l’histoire en main. Condillac fut convaincu de chimère et dès-lors il fut perdu, il fut presque déshonoré.

Si M. Royer-Collard se fût annoncé en régénérateur du spiritualisme, en apôtre des doctrines si élevées, si brillantes, au fond si vraies, de Descartes et de Platon, on ne l’eût pas écouté ; le siècle eût continué son chemin encore assez long-temps peut-être. Il fallait s’y prendre plus doucement : il fallait user d’adresse dans l’intérêt de la vérité. Montrer à ces intelligences si en garde contre l’hypothèse, si éveillées contre tout ce qui avait l’air de la rêverie, que c’était Condillac qui était téméraire, que c’était Reid qui était toujours sensé et plein de retenue, établir jusqu’à l’évidence qu’un spiritualisme modéré, renfermé dans de justes, mais inattaquables limites, répond bien mieux, répond seul et à l’esprit de ces sciences dont on était si fort épris, et aux besoins du cœur humain, déjà bien las de ne rien croire, et à cette liberté politique dont il est, pour qui sait voir, le plus solide appui, cette méthode était celle qu’eût conseillée une tactique habile pour arriver jusqu’aux ames ; mais j’ai hâte de le dire : ce ne fut point une tactique pour M. Royer-Collard, ce fut l’expression fidèle de sa propre pensée, qui partageait la disposition commune, même en s’en séparant sur les résultats. Qu’est-ce que M. Royer-Collard en métaphysique ? C’est un grand esprit très sûr, très pénétrant, très apte aux sciences, dont il s’occupa même avec succès ; il s’appliqua un jour à la philosophie, et il y porta, il y laissa la profonde empreinte d’une pensée avant tout marquée de vigueur et de réserve. Aussi, s’il n’a pas vu tout le vrai, tout ce qu’il a vu est vrai. Il a conduit les esprits jusqu’au point où ils pouvaient aller, et lui-même ne s’est pas avancé au-delà, aimant mieux restreindre un peu son horizon et le dominer tout entier : il n’en a que mieux préparé ceux qui le continuent en le dépassant. C’est lui qui a formé ces jeunes gens qui, en s’adressant à d’autres jeunes gens, ont propagé, ont étendu la réforme. M. Royer-Collard n’a pas rendu inutiles, sachons-le bien, les progrès ultérieurs, il les a rendus possibles, et le plus illustre de ses disciples, le chef actuel du mouvement philosophique, M. Cousin, avait besoin de la forte circonspection d’un tel maître et de la préparation de ses enseignemens pour modérer son propre esprit et pour enhardir celui du temps. La pierre d’assise était posée, le monument qu’elle portait solide autant qu’étroit : il fallait l’élever et l’agrandir. Il s’est heureusement trouvé pour achever l’œuvre des mains dignes de celles qui l’avaient commencée.

Mais, en reconnaissant l’immense valeur relative de M. Royer-Collard en philosophie, on peut demander aussi quelle est sa valeur absolue. On peut demander d’abord s’il ajouta quelque chose à la vérité philosophique, s’il y porta le génie de la découverte. À cette question je réponds