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hardiment que non. Pour le fond des idées, M. Royer-Collard, c’est Reid, tout Reid, mais rien que Reid. La discussion qu’il soulève est la même, les argumens qu’il emploie sont les mêmes, les doctrines psychologiques, les mêmes encore sans exception ni réserve. On peut aussi demander si, à défaut de l’invention, il eut cette érudition lui-même, cette science vaste qui élève Bayle, par exemple, jusqu’au rang de philosophe, auquel il ne pourrait guère prétendre sans elle. À cette question je réponds encore qu’il n’en est rien. Que savait M. Royer-Collard en abordant l’enseignement de l’histoire de la philosophie ? Il savait son Condillac et son Reid. Platon, qui plus tard devait être sa lecture assidue, il l’ignorait absolument ; Leibnitz il ne le connaissait qu’à travers les appréciations du docteur d’Édimbourg. J’en dirai autant, à mon grand regret, de la philosophie française, de la philosophie du XVIIe siècle. Il parle de Malebranche sur la foi de Reid, et ne connaît de Descartes que le Discours sur la Méthode ; encore il se trompe avec son maître sur le vrai sens de sa proposition fondamentale et l’accuse faussement de paralogisme. M. Royer-Collard n’est donc ni inventeur ni érudit. Et maintenant qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée, qu’on n’aille pas attribuer à ce jugement en apparence si sévère un sens qu’il n’a pas. Non, ce n’est point sa condamnation que je porte, et bien loin de là ! Cet homme qui ne fut point inventeur est l’auteur d’une révolution, cet homme qui n’était point un savant a commencé le plus grand mouvement d’érudition philosophique qui jamais ait été. Comment s’expliquer une anomalie si étrange ? C’est qu’il y a sous cette doctrine d’emprunt une force cachée et partout présente, c’est qu’il y a quelque chose de plus original que les idées qu’il exprime. Quoi donc ? C’est lui-même. C’est ce qui m’explique son influence. Lisez ses leçons de philosophie, vous y rencontrez à chaque ligne M. Royer-Collard. Vous attachez-vous au fond seul des preuves, rien ne ressemble plus encore une fois à Thomas Reid ; vous attachez-vous à la forme, à l’exposition, rien n’y ressemble moins. Il n’y a plus entre eux de commun que je ne sais quel parfum d’honnêteté qui plaît à l’ame, mais d’honnêteté plus douce chez le professeur écossais, plus élevée et plus mâle chez M. Royer-Collard. Comme il domine sa tache, comme il lui paraît supérieur ! Quelle personnalité respire jusque dans le sein de ces abstraites déductions ! Du cercle étroit où il se confine, quelles échappées rapides, mais sublimes, vers le monde invisible ! Comme il sait découvrir, dans les questions les plus étrangères, ce semble, à la pratique, les destinées de l’ame et le bon ordre des sociétés qui s’y trouvent engagées ! Enfin comme il condense la lumière et comme il presse les argumens ! M. Royer-Collard, en métaphysique, est comme toujours un homme d’autorité et un homme d’opposition. C’est une parole imposante et c’est une dialectique acérée, c’est un enseignement