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Leibnitz et Bossuet. Dites-le franchement, trouvez-vous que Leibnitz, essayant de concilier la raison et la foi, malgré les points de rapports nombreux qu’il y découvre, n’ait jamais laissé fléchir entre ses mains le fil d’une logique rigoureuse ? Croyez-vous qu’il ne soit permis de relever dans ses écrits bien des explications forcées, bien des concessions de la théologie à la philosophie, de la philosophie à la théologie, assez peu propres à satisfaire ni l’une ni l’autre ? Et pourtant qui nierait que ce ne fût une entreprise généreuse, sensée, utile, de tenter un rapprochement entre ces deux puissances qui se traitaient en ennemies ? Qui nierait qu’il n’ait en l’essayant contribué pour une grande part à montrer que sur une foule de questions les réponses du christianisme et celles de la raison sont les mêmes, et que leur empire se touche sans se confondre ? Qui se chargera d’accorder tel et tel passage de la politique tirée de l’Écriture sainte avec les efforts de Bossuet pour séparer et concilier à la fois le spirituel et le temporel ? Qui dira que l’évêque apostolique romain et le sujet de Louis XIV s’entendent toujours en lui parfaitement ? Il n’y a guère qu’un seul moyen d’échapper absolument à la contradiction, c’est de n’adopter qu’un principe et de ne tenir aucun compte des autres. En philosophie, soyez voltairien, assurément la religion vous embarrassera peu ; en politique, soyez pour la domination absolue du pape, comme M. de Maistre, vous ne serez guère empêché par les difficultés où s’est épuisé Bossuet pour concilier le temporel et le spirituel ; soyez républicain, vous ne risquerez pas de vous fatiguer à accommoder à la monarchie les conditions de la liberté, comme l’a fait M. Royer-Collard. Prenez garde seulement que vos principes très logiques ne soient qu’assez peu sensés et nullement applicables. Prenez garde de ne vous sauver de l’inconséquence que par l’incomplet et par l’absurde.

Au reste, le jugement définitif a été porté sur M. Royer-Collard, et, chose rare, unique peut-être, c’est à l’Académie, c’est dans un discours de réception qu’il l’a été. M. de Rémusat a parlé de son prédécesseur non-seulement avec éloquence, mais, ce qui est bien plus original, avec vérité. C’est là un des grands charmes de son discours. On avait rarement entendu une page plus étincelante que celle où l’orateur, après avoir apprécié l’homme de pensée et d’action, le personnage historique, a peint l’homme privé, l’homme de tous les jours, pour ainsi dire, tel qu’il se montrait avec ses amis dans le laisser-aller de la conversation. Après les grandes vues qui dominent le discours, ce morceau, si piquant de justesse, était bien fait pour rappeler le sourire, que d’ailleurs les mots heureux, mêlés au sérieux des appréciations, n’avaient jamais complètement banni. Au portrait que M. de Rémusat a tracé de l’homme et de l’écrivain, il n’y a pas un mot, pas un détail, ce