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MABILLON ET LA COUR DE ROME.

les évêques. Si excommunicaturus venerit, excommunicatus abibit. Ils rappelaient ce mot de saint Bernard à Innocent : Nous sommes plus papes que vous. Enfin ils justifiaient la déclaration de 1682 par la pragmatique de 1268, et Louis XIV par le plus saint de ses aïeux. La question une fois posée de la sorte, on sent de quel poids devait être l’autorité des bénédictins, si bien renseignés sur les faits ; leur vaste érudition devenait l’alliée de la politique nationale, et ils confirmaient par la tradition cette maxime qui, depuis huit siècles, a toujours servi de règle à l’église de France : rester fidèle au catholicisme sans cesser d’être fidèle au pays et à ses lois. Jamais, dans ces querelles, le moindre doute ne leur vient à l’esprit sur la justice de la cause qu’ils soutiennent. « Bien des catholiques, dit à cette occasion Michel Germain, ne sauraient comprendre pourquoi, d’une part, tant de violement des sacrés canons, et, de l’autre, le refus d’accepter la démission d’un évêché à cause de la haine qu’on porte à la France, et perdent une bonne partie de l’estime qu’ils avaient pour la vertu sévère du pape : ce qui est un très grand désavantage à l’église. Mais tout cela me passe, et il vaut mieux se taire et attendre en patience la miséricorde de Dieu. »

C’était du reste une véritable guerre de religion sous une nouvelle forme. La plume remplaçait l’épée, mais l’ardeur était encore aussi vive qu’aux jours les plus orageux des antiques querelles du sacerdoce et de l’empire. Les deux partis s’aigrissaient sans cesse par de mutuelles vexations. Le parlement de Toulouse déclarait-il le Traité des libertés de l’église gallicane du docteur Charlas contraire aux lois du royaume, le pape se hâtait de proclamer que ce livre avait été inspiré par le saint esprit lui-même. Rome mettait à l’index les Vies des Papes d’Avignon de Baluze, et Louis XIV accordait aussitôt une pension à l’auteur. D’un côté comme de l’autre, on craignait cependant, malgré la vivacité de la lutte, une rupture officielle, et, sans céder sur les principes, les deux partis reculaient toujours après les premières hostilités. C’est ainsi que le souverain pontife, et ce fut là sa plus grande hardiesse, donna ordre d’effacer toutes les fleurs de lis et tous les portraits de Louis XIV qui se trouvaient sur les portes et les boutiques des Français établis à Rome. Cet ordre fut en partie exécuté ; puis le saint père, effrayé de sa propre audace, fit rétablir, pendant la nuit, les pannonceaux qu’il avait fait enlever pendant le jour.

Il en fut de cette querelle comme de toutes les querelles théologiques ; elle ranima les passions haineuses et intolérantes. La cour pontificale, traitée par Louis XIV avec une humiliante hauteur, garda de ces débats une rancune dissimulée, mais profonde. On accusa le monarque de s’avoisiner de l’hérésie ; « ce fut un crime romain d’être Français, » dit la Correspondance inédite, et l’on peut penser, sans forcer l’histoire, que le reproche d’hérésie fut l’un des motifs qui amenèrent la révocation de l’édit de Nantes. Le roi s’était presque révolté contre Rome, il fallait se faire pardonner cette témérité ; et, pour prouver son orthodoxie, il se fit persécuteur. Toutefois la révocation de l’édit de Nantes fut accueillie par la cour pontificale avec indifférence ; le pape y prêta peu d’attention ; les esprits qui cherchaient la logique des événemens ne pouvaient s’expliquer la conduite du roi ; les protestans adressaient au pape des complimens de condoléance sur les vexations dont il avait été l’objet, et la reine Christine écrivait de Rome au chevalier de Terson, ancien ambassadeur de France en Suède :