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inédite qui se rattache aux travaux de recherches et de dépouillemens exécutés par nos pieux voyageurs. L’exemple de Mabillon et de ses savans disciples pourra stimuler utilement leur zèle, et il leur sera facile de se convaincre qu’une mission scientifique, au temps de Louis XIV, n’était pas ce qu’elle est trop souvent de nos jours, une affaire de complaisance pour le ministre qui l’accorde, une affaire d’agrément pour le touriste qui la remplit, une charge inutile pour le budget qui la paie. Pendant leur séjour en Italie, qui fut de quinze mois, Mabillon et ses compagnons de voyage avaient feuilleté, collationné, analysé ou copié plus de trois mille manuscrits. Ils rentrèrent à Paris rapportant plusieurs rames de papier de pièces inédites et quatre mille volumes, la plupart d’une grande rareté, qui furent déposés à la Bibliothèque du roi. À voir tant de trésors ramassés en si peu de temps, il semblait, dit un biographe ecclésiastique, que l’antiquité tout entière rajeunît sous ses rides.

Ce fut là le dernier voyage de Mabillon. À partir de cette époque, il rentra dans son cloître et s’enferma dans un repos studieux, occupé seulement de servir la religion en éclairant son histoire et de faire refleurir l’antique discipline, qui s’était perdue à travers la barbarie du moyen-âge. Cette pensée, du reste, était celle de tous les hommes éminens de l’église française au XVIIe siècle, et, en étudiant l’esprit de cette église, on y découvre une tendance universelle à se rapprocher du christianisme primitif. À aucune autre époque, le clergé français ne montra une plus grande dignité de mœurs, une plus grande élévation de pensée. De nouveaux ordres s’établissent, basés pour la plupart sur le travail, l’instruction, le soin des pauvres et des malades ; les carmélites de Sainte-Thérèse, les frères de Saint-Jean-de-Dieu, les sœurs de la Visitation, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, se propagent sur tous les points du royaume, et il s’opère pour ainsi dire une sorte de renaissance de la charité. Rancé rend aux macérations du cloître toute la dureté des premiers âges. On traduit à Port-Royal les Vies des Pères du Désert ; la philosophie, étouffée pendant des siècles sous la scholastique, s’allie de nouveau avec la théologie. La question de la grace se ranime comme au temps de saint Augustin ; les pères renaissent dans Bossuet ; Fénelon rappelle en bien des points les premiers évêques de la Gaule, et les bénédictins cherchent à ramener leur ordre au joug de la règle imposée par leur fondateur. Qu’on ouvre la vie de Mabillon, écrite par son fidèle ami Thierry Ruinart : on croirait lire, dégagée du merveilleux, la légende d’un compagnon de saint Benoît ; c’est la même humilité, le même mépris des biens de ce monde, le même amour de la souffrance et du travail, la même résignation. À chaque ouvrage nouveau qu’il composait, Mabillon portait sur l’autel les premières pages de son livre, pour offrir à Dieu les prémices de son esprit. Quand on froissait par des éloges la seule susceptibilité qui fût dans son ame, celle de la modestie, il se hâtait de changer de discours, et répondait simplement : « J’ignore ces vertus que vous voyez en moi, mais je connais ma faiblesse ; c’est à Dieu qu’il appartient de me juger, il est ma force et mon espérance. Priez-le donc de me rendre tel que vous me croyez. »

Malgré de vives douleurs de poitrine et de fréquens maux de tête qui nécessitèrent une opération douloureuse, Mabillon, retiré dans l’abbaye de Saint-Germain, n’en continuait pas moins ses travaux avec une infatigable persistance. Dans le Traité des études monastiques, il posa ce principe, que l’étude doit être,