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Brünn et Austerlitz, il prévoit et encourage les projets que la position respective des deux armées devait inspirer aux généraux russes. Jamais plus d’adresse ne fut associée à plus de décision. C’est à M. Thiers que nous devons de lire dans la pensée de Napoléon aussi nettement : il jette une égale lumière sur toutes les idées, sur tous les desseins, sur toutes les opérations de l’empereur. La méthode de l’historien est excellente : il prépare le lecteur à l’intelligence des mouvemens militaires en exposant le but que devait se proposer Napoléon, en faisant pressentir les moyens dont il allait se servir ; il entre ensuite dans tous les détails de l’action ; enfin il résume les données principales et les grands résultats. C’est ainsi qu’il termine sa belle description de la bataille d’Austerlitz par ces lignes : « Cette ame, dans laquelle de si amères douleurs devaient un jour succéder à des joies si vives, goûtait en cet instant les délices du plus magnifique succès et du mieux mérité ; car, si la victoire est souvent une pure faveur du hasard, elle était ici le prix de combinaisons admirables. Napoléon, en effet, devinant avec la pénétration du génie que les Russes voudraient lui enlever la route de Vienne, et qu’alors ils se placeraient entre lui et les étangs, les avait, par son attitude même, encouragés à y venir ; puis, affaiblissant sa droite, renforçant son centre, il s’était jeté avec le gros de son armée sur les hauteurs de Pratzen, par eux abandonnées, les avait ainsi coupés en deux et précipités dans un gouffre duquel ils n’avaient pu sortir. La majeure partie de ses troupes n’avait presque pas agi, tant une pensée juste rendait sa position forte, tant aussi la valeur de ses soldats lui permettait de les présenter en nombre inférieur à l’ennemi. On peut dire que sur soixante-cinq mille Français, quarante ou quarante-cinq mille au plus avaient combattu, car le corps de Bernadotte, les grenadiers et l’infanterie de la garde n’avaient échangé que quelques coups de fusil. Ainsi quarante-cinq mille Français avaient vaincu quatre-vingt-dix mille Austro-Russes[1]. » N’est-ce pas là une manière d’écrire l’histoire large, positive et durable ?

Ulm, Trafalgar, Austerlitz, puis les conséquences de cette victoire, la paix de Presbourg et la confédération du Rhin, telles sont les grandes lignes du sixième volume de M. Thiers. Maintenant, que de détails variés, de faits piquans, nouveaux, sont répandus dans ces divisions principales ! Ils ressortent d’autant mieux que le dessin de la composition est plus simple et plus ferme. Quand en Moravie Napoléon est en face des Russes, l’historien fait de leurs généraux une intéressante peinture. Nous trouvons d’abord sur le premier plan la figure de Kutusof, elle est originale et saisissante. M. Thiers nous montre ce général en chef déjà près de la vieillesse, dissolu ; avide, mais intelligent, délié d’esprit

  1. Histoire du Consulat et de l’Empire, tome VI, page 330.