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l’empereur retenait M. de Talleyrand, l’entretenait de ses desseins et de la conduite qu’il voulait tenir à l’égard d’Alexandre. Presque tous les soirs, après le spectacle, le prince de Bénévent rencontrait le czar chez Mme la princesse de La Tour et Taxis, et lui livrait les confidences de Napoléon. Il rendait à l’Autriche un autre service. L’empereur François II avait envoyé à Erfurth M. le baron de Vincent, en apparence pour féliciter Napoléon, au fond pour pénétrer ce qui pourrait se tramer de contraire aux intérêts de la cour de Vienne. M. le baron de Vincent vit beaucoup le prince de Bénévent, qu’il connaissait depuis long-temps, et il reçut de lui de précieuses communications. Ces faits, M. de Talleyrand les a consignés lui-même dans ses mémoires ; c’est M. le baron Meneval qui nous l’apprend ; il a lu les passages où ils se trouvent racontés. Il y a lu aussi l’explication que M. de Talleyrand donne de sa conduite. Le prince de Bénévent était effrayé des dangereux progrès de la puissance de Napoléon, aussi cherchait-il à arrêter l’impétuosité de son essor et à entraver l’exécution de ses projets aventureux pour le contraindre à la modération. Suivant son habitude, M. de Talleyrand a déguisé sa pensée. Il se proposait surtout de se préparer, de se ménager de puissans amis, pour le jour où des revers pourraient atteindre l’empereur. Ces revers, il commençait à les prévoir ; nous en voyons la preuve dans ce commencement de trahison.

Le contraste entre les ministres des monarchies absolues et ceux des pays libres a été saisi par M. Thiers avec finesse. « Les cours sont bien capricieuses sans doute, dit l’historien ; elles ne le sont pas plus que les grandes assemblées délibérantes. Tous les caprices de l’opinion, excités par les mille stimulans de la presse quotidienne et réfléchis dans un parlement où ils prennent l’autorité de la souveraineté nationale, composent cette volonté mobile, tour à tour servile ou despotique qu’il est nécessaire de captiver pour régner soi-même sur cette foule de têtes qui prétendent régner. » Ces lignes servent de préliminaire et comme d’encadrement au portrait que l’historien a tracé de M. Pitt. M. Thiers persiste dans son premier jugement sur l’illustre rival de Fox ; en mettant M. Pitt très haut comme orateur, il lui refuse le génie organisateur et les lumières profondes de l’homme d’état. Cependant M. Thiers reconnaît que Pitt résista à la grandeur de la France, à la contagion des désordres démagogiques avec une persévérance inébranlable, qu’il maintint l’ordre dans son pays sans en diminuer la liberté, et que, s’il usa et abusa des forces de l’Angleterre, elle était le second pays de la terre quand il mourut, et le premier huit ans après sa mort. Un pareil résultat a-t-il pu s’obtenir sans les lumières profondes de l’homme d’état ? M. Pitt a été le premier adversaire en date de Napoléon, et on peut dire qu’il lui a porté les derniers comme les premiers coups, car l’Europe, après sa mort, continua d’obéir à l’impulsion