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elle aussi, possédait les deux registres de la voix ; la Malibran, elle aussi, avait l’esprit fantasque et entreprenant ; cependant, jamais que nous sachions, pareille algarade ne lui vint à l’esprit. Qu’après avoir absolument voulu chanter, Desdemone, Mme Stoltz eût voulu essayer de Malcolm à toute force, on l’eût conçu sa voix de soprano l’avait trahie, elle s’adressait au contralto, rien de plus naturel ; mais ce qui ne saurait se justifier, c’est cette confusion puérile dans la même soirée des élémens des deux répertoires, cette incroyable audace de toucher à tout, cette fureur de tout piétiner. On ne cesse de se moquer des intercalations dérisoires dont les opéras italiens offrent journellement l’exemple, de ces airs transférés, par le caprice d’un chanteur, d’une partition dans une autre ; mais, pour peu qu’on y prenne garde, ceci dépasse tout. Prétendre fondre en un seul rôle les parties de contralto et de soprano, s’imaginer qu’on passera ainsi sans transition de la fraîche et vaporeuse cavatine d’Elena à l’accent mâle et pathétique de Malcolm, du répertoire de la Sontag au répertoire de la Pisaroni, c’est se proposer une tâche au-dessus des forces physiques. Je dirai plus, à de semblables efforts, un chanteur, quel qu’il soit, ne saurait prétendre ; c’est un ventriloque qu’il faudrait. La voix humaine n’est point une serinette que l’on monte à volonté, et l’art du chant a ses conditions auxquelles les plus illustres eux-mêmes se soumettent. Fussiez-vous ensemble la Mariani et la Sontag, la Pisaroni et la Grisi, quand vous avez une fois adopté un registre, force est de vous y tenir pour la soirée du moins, quitte à passer le lendemain à l’autre, comme on a vu faire la Malibran. En dehors de cela, tout devient confusion, et vous finissez, comme Mme Stoltz, par chanter un je ne sais quoi d’indéchiffrable et qui n’a de nom dans aucune langue. Je n’en veux d’autre preuve que la délicieuse Cavatine d’Elena dans la Donna del Lago, musique de soprano s’il en fut, souffle mélodieux du matin, suave et limpide émanation qui semble respirer toute la poésie matinale du lac argenté. Eh bien ! à ce chant de l’oiseau qui s’éveille, à cette barcarole toute de grace, de légèreté, de délicatesse, Mme Stoltz, avec sa fâcheuse habitude, a réussi à donner, le croira-t-on ? l’expression d’une véritable complainte ; rien de détaché, de coquet, d’élégant, mais un continuel canto legato, un accent monotone et traînard à désespérer le plus éploré des violoncelles. Nommer la cavatine illustre de Malcolm, c’est évoquer l’idée du triomphe de la Pisaroni, idée terrible devant laquelle n’a point pâli la cantatrice de l’Académie royale de Musique ! Au fait, quels souvenirs pourrait-on craindre lorsqu’on a si vaillamment bravé ceux de la Sontag et de la Malibran ? Va donc pour l’air de Malcolm après la cavatine d’Elena ; le sublime O quante lagrime devait couronner l’œuvre commencée par la barcarole du soprano. Je laisse à penser si les sons gutturaux font ici leur devoir, et quel singulier effet produit cette déclamation de grand opéra dans une musique où l’art de phraser passe avant tout.

Après Agésilas,
Hélas !
Mais après Attila,
Holà !

Aussi bien la patience des gens était à bout. Tant de vaines prétentions avaient lassé le public. Il s’est montré sévère ; puisse l’expérience porter ses fruits ! Singulier rapprochement ! cette même Donna del Lago, qui, sous le nom de