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des auteurs familiers. Nous ne sommes pas rebutés, dans un beau morceau de poésie, dans une harangue, dans un traité philosophique, par une sorte d’archéologie à laquelle nous n’avons pas été initiés, et, en même temps que nous y admirons ces belles pensées qui sont du domaine de l’homme dans tous les pays et dans tous les temps, nous voyons en quelque sorte la physionomie particulière de l’esprit humain dans un temps et dans un pays déterminés. Cicéron, dans ses ouvrages philosophiques, ne sera pas seulement un des bons moralistes du monde, ce sera le moraliste romain. Horace ne sera pas seulement un lyrique ou un satirique, ce sera le lyrique un peu artificiel d’un pays où l’on ne rêvait guère, ce sera le satirique d’un peuple chez qui le vice n’a jamais été élégant, et sous la mollesse duquel perce cette brutalité que lui reproche la Camille de Corneille, dans un de ces vers où ce simple et sublime génie a senti plutôt que jugé le peuple romain.

Soit souvenir, soit préjugé de collège, il me semble que, parmi les usages de cet enseignement des langues anciennes, qui a pour ennemis tous ceux qui ont fait de méchantes études, celui-là n’est pas le plus mauvais qui nous faisait apprendre les élémens du latin dans un abrégé de l’histoire romaine. Nous arrivions ainsi à ses grands écrivains avec des impressions déjà fortes de la grandeur de leur pays. Le jour où j’ai dû songer à un plan d’études sur la littérature latine, j’ai trouvé cette indication dans mes souvenirs. Seulement, au lieu d’un petit abrégé où le latin n’est pas toujours romain, j’ai voulu lire l’histoire romaine dans les auteurs originaux, dans les Romains qui ont écrit les annales de leur pays.

La liste des historiens romains est courte ; elle se compose de quatre noms César, Salluste, Tite-Live, Tacite. Des hauteurs où ils ont élevé l’histoire, on tombe tout à coup soit dans la chronique négligée et suspecte de Suétone, soit dans les abrégés plus brillans que solides de Velleius Paterculus et de Florus, soit dans les prétentions encyclopédiques d’Ammien Marcellin. Ou bien ce sont des auteurs qui ont écrit des vies ou des résumés d’histoire universelle : Cornelius Nepos, qui fait penser à Plutarque ; Quinte-Curce, dont les fleurs ne nous consolent pas de n’avoir point une histoire originale d’Alexandre ; Justin, qui est accablé par le Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet. Ces auteurs, dont aucun d’ailleurs n’est méprisable, ont pour principal mérite d’offrir des textes appropriés à un certain temps des études classiques et de servir comme de degrés dans la connaissance du latin.

Peut-être eût-il été plus juste de les comprendre dans l’étude générale des historiens ; j’avoue que je ne m’en sens pas le goût. Quand nous jugeons les écrivains secondaires, ou bien nous triomphons d’eux, ou bien nous les protégeons. Là où il y a trop à critiquer, le profit ne vaut pas le chagrin qu’on se donne ; là où il est besoin de faire valoir le mérite d’un écrivain par le relatif, à peu près comme ces peintures douteuses pour lesquelles on exige du spectateur qu’il se place à un certain point de l’équerre, c’est le plus souvent un jeu d’esprit dont l’exemple n’est pas bon, parce qu’il substitue au grand goût dans les lettres le petit goût, qui en est l’ennemi. Nous sommes difficiles ou complaisans aux petites réputations par des raisons qui ne sont pas parfaitement pures de tout intérêt d’amour-propre : difficiles, parce qu’y ayant trop peu de distance des