Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

correspond à cette cote dans nos ports. Malheureusement la spéculation commerciale aura et a déjà eu pour résultat de faire monter les blés, cette année, fort au-dessus des prix habituels en Amérique de même qu’à Odessa, surtout aidée qu’elle est, comme on le verra tout à l’heure, sur l’autre rivage de l’Atlantique par des circonstances de climat qui pendant un certain intervalle encore restreindront l’offre, tandis que la demande ira croissant. Quant au maïs, il fait bien du chemin pour atteindre les quais de la Nouvelle-Orléans, mais il s’y rend en descendant le cours incomparable de l’Ohio et du Mississipi, et ces chemins qui marchent et portent où l’on veut aller ne sont soumis à aucun péage. Ordinairement donc le maïs est à vil prix dans cette métropole. Je me souviens d’y avoir entendu dire que les petits coquillages dont on se sert, faute de pierres, pour charger un tronçon de route de quelques kilomètres entre la Nouvelle-Orléans et le lac Pontchartrain, et qu’on vend au boisseau, étaient quelquefois plus chers que le maïs.

Pour la célérité des approvisionnemens, l’Amérique du Nord a cet avantage que les ports n’y gèlent pas. On n’y est pas exposé à voir des navires, comme en ce moment à Odessa, captifs au milieu des glaces et attendant le dégel pour faire voile vers l’Europe, qui les appelle avec impatience. Cependant l’influence de l’hiver s’y fait sentir sous une autre forme et s’y maintient plus long-temps. Ce n’est pas comme dans l’intérieur de la Russie, où les charrois ne sont possibles avec économie qu’en traîneaux, sur les neiges qu’amoncèle l’hiver, mais où alors le traînage est à un bas prix qu’égalent rarement les tarifs les plus réduits des chemins de fer de l’Europe occidentale. L’Amérique au contraire écoule ses denrées au moyen de canaux qu’elle a multipliés et que les chemins de fer, tels qu’ils sont en Amérique du moins, ne pourraient suppléer ; mais ces canaux sont régulièrement gelés tous les hivers. New-York et la Nouvelle-Orléans sont les deux ports par où se répandent sur le marché général du monde la plupart des produits de l’agriculture américaine. Pour atteindre le fleuve Hudson, sur lequel New-York est assise, ou le Mississipi, dont la Nouvelle-Orléans commande l’embouchure, les grains et les autres denrées ont à suivre divers canaux ou différens fleuves, pour New-York, par exemple, le canal d’Ohio, le lac Érié, le canal Érié et le fleuve Hudson. Malheureusement sur ces canaux tout transport est suspendu de la mi-décembre au milieu d’avril, et les fleuves eux-mêmes sont fermés. Ainsi, à Albany, où le canal Érié débouche dans l’Hudson, le fleuve est gelé en moyenne pendant trois mois[1], et la glace massive en envahit la surface

  1. Il résulte des tableaux publiés par l’administration des canaux de l’état de New-York, que, de 1817 à 1838, l’Hudson a été fermé par les glaces à Albany pendant quatre-vingt-douze jours, moyennement. D’après ces mêmes tableaux, le chômage pour cause de gelée sur le canal Érié a été, d’après une moyenne de six saisons, de cent trente-trois jours par an. Le lac Érié lui-même a ses ports fermés par la gelée. Le port de Buffalo, où le canal Érié débouche dans le lac, est précisément celui de tous qui est ouvert le plus tard. En 1831 et 1835, il ne l’a été que le 8 mai, et en 1829 le 10 mai. En 1828, au contraire il l’a été dès le 1er avril.