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entraînée par cette espèce de douloureux fatalisme qui pousse les cœurs blessés au-devant de nouvelles blessures, elle ne fit rien pour combattre ce projet coupable. Octave vit un consentement tacite, un secret désir peut-être dans cette résignation passive qui le rassurait et l’irritait tout ensemble ; il cessa de se contraindre, et chaque incident de leurs froides ou orageuses journées ne fit que les rapprocher davantage de ce dénoûment qui devenait inévitable, dès l’instant qu’ils ne le regardaient plus comme impossible.

Si réservée, si maîtresse d’elle-même que fût Mme d’Esparon, sa situation devait forcément se refléter dans sa correspondance avec son père. Celui-ci comprit, entre deux accès de goutte, que sa fille n’était pas heureuse, et, en homme sûr de son fait, il écrivit à son gendre pour le tancer vertement. Dans le contact des âmes droites, mais communes, avec les esprits brillans et égarés, ce qui achève ordinairement de tout perdre, c’est que celles-ci mettent autant de rudesse à réparer le mal que ceux-là ont mis de délicatesse à le faire. La lettre de M. de Gureuil était tout simplement une sévère mercuriale, qui ne tenait aucun compte des prétentions d’Octave, et où l’irascible vieillard se montrait parfaitement étranger à nos raffinemens modernes. Il écrasait en outre M. d’Esparon du détail des perfections de sa fille, énumération intempestive, qui suffit pour nous rendre une femme antipathique et nous faire haïr toutes les vertus dont on nous reproche de n’être pas dignes.

Ce fut le coup de grâce : M. d’Esparon entra chez sa femme avec cet air sombre et résolu que prennent les hommes faibles quand ils veulent être violens. — Vos plaintes, dit-il, vos accusations, vos ressentimens, ont porté leurs fruits ; votre père, renseigné par vous sans doute, me traite comme on ne traiterait pas l’écolier le plus indocile, le visionnaire le plus insensé !

— Je puis vous assurer, monsieur, dit Mme d’Esparon, que mon père peut avoir deviné, mais que je ne vous ai pas trahi.

— Votre père a raison, madame, reprit Octave d’un ton ironique qui déguisait mal sa colère. Non, je ne suis pas digne de vous ; non, je ne puis rester ici sans vous rendre malheureuse en étant moi-même malheureux. Pourquoi chercher à nous tromper plus long-temps ? Il n’y a qu’un moyen d’échapper à ces collisions pitoyables, d’alléger la chaîne à laquelle nous sommes rivés tous deux : il faut que je parte, que je vous quitte… au moins pour quelques années.

— Si vous jugez cette séparation nécessaire, si vous espérez y retrouver le bonheur, vous êtes le maître, lui dit-elle en palissant un peu, mais toujours calme.

— Vous le voyez, ce moyen ne vous effraie point ; vous l’aviez prévu, approuvé peut-être. Qu’il soit donc fait selon notre désir à tous