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être n’était-il poussé que par cette inconséquence bizarre, mais fréquente, qui rend insupportable l’idée d’être remplacé, même auprès de la femme que l’on n’aime plus, La vue du bel attentif avait contribué autant que celle de la duchesse à ramener près d’elle M. d’Esparon ; mais une fois installé, cédant à la pente de son caractère, le comte avait trouvé Mme  de Dienne plus ravissante que jamais, justement parce qu’il pensait à son départ et croyait la voir pour la dernière fois. Sous l’influence de cette idée, il avait été auprès de la duchesse ce qu’il savait être quand il croyait son cœur en jeu : spirituel avec sentiment, mélancolique avec grâce, séduisant enfin, même pour une femme qui ne pouvait plus guère s’abuser.

Depuis long-temps, en effet,Mme  de Dienne avait vu décroître son empire sur Octave. Elle aussi avait ressenti les effets de cette nature brillante, non moins incapable de dévouement et d’amour vrai dans le domaine de la passion que dans les limites du devoir. Alors, plus soucieuse de sa dignité que de son bonheur, elle avait accepté la situation, rendu au comte sa liberté, et posé elle-même les termes d’une rupture sans secousse et sans éclat. Je laisse au lecteur le soin de deviner si cette rupture et le vide qu’elle forma dans l’existence de M. d’Esparon n’étaient pas pour quelque chose dans ce réveil d’amour paternel qui lui avait fait appeler Albert. Ce sont là de ces mystères que ne s’avouent pas les cœurs où ils s’accomplissent, et il y aurait de la cniauté à être plus clairvoyant qu’eux-mêmes ; mais, depuis trois semaines, M. d’Esparon, à qui ce bonheur paternel ne suffisait peut-être plus, avait renoué quelques communications avec la duchesse. Elle l’avait accueilli avec une douceur résignée qui la rendait plus attrayante. Sans préméditation et sans emphase, elle s’était posée auprès d’Octave en femme qui regarde comme inévitables les mécomptes qui l’ont frappée, et qui, au lieu d’en faire un sujet de reproche, les attribue aux tristes conditions de la vie et à l’irrésistible courant des affections humaines. C’était assez pour qu’elle apparût aux yeux de M. d’Esparon sous un jour nouveau ; et, comme elle était très spirituelle, comme il y avait un charmant paradoxe dans ces conversations où, en plaidant pour le désenchantement qu’elle avait subi, elle forçait Octave à se faire l’avocat de la passion qu’il avait brisée, celui-ci, piqué au jeu, retourna chez elle assez souvent pour en reprendre l’habitude, et y trouva assez de plaisir pour s’imaginer qu’il redevenait amoureux.

C’est au milieu de ces circonstances qu’avaient eu lieu les derniers événcmens que je viens de raconter. M. d’Esparon en se décidant tout à coup à partir pour Blignieux, sous l’empire des émotions sincères que lui avait causées le duel d’Albert et l’entretien qui l’avait suivi, ne s’était plus préoccupé de Mme  de Dienne ; mais cette soirée, l’aspect de