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Devereux, ces beaux gentilshommes si parfaitement irréprochables dans leurs manières et leur tenue, arbitres de fautes les élégances, clubbistes accomplis, sportsmen incomparables, étaient oubliés, méconnus, et traités avec la négligence qui est le partage des types épuisés et vieillis. De là naissait pour sir Edward Bulwer une impérieuse nécessité, — plus impérieuse pour lui que pour tout autre, — celle de renoncer à ce qui avait fait sa gloire, de modifier ses habitudes, de déplacer le terrain de sa longue lutte contre l’indifférence publique.

Une pareille transformation est toujours périlleuse. Si heureusement doué que l’on soit, ce n’est point à l’âge où presque tous les grands écrivains ont cessé de produire, que l’on peut, sans péril, essayer une métamorphose complète, aborder une carrière nouvelle. S’y risque-t-on, il faut, ce semble, puiser en soi les ressources de cette palingénésie littéraire, consulter ses instincts, et bien malhabile, bien imprudent est celui qui, s’étant fait un rôle à part, maître d’un genre qu’il a créé, se laisse égarer par une puérile émulation jusqu’à se faire le compétiteur, — autant vaut dire le copiste, — des hommes nouveaux qu’il voit en possession de la faveur publique. Pour un athlète vieilli qui, pareil à l’Entelle de Virgile, trouvera dans son orgueil irrité la force de châtier un jeune et téméraire rival, combien en verra-t-on déshonorer en échouant leur passé glorieux, leur ceste jadis sans égal ! Bulwer débuta, dans ce nouveau combat, par un roman dont il a été fort peu question, bien qu’il ait été traduit en France. Night and Morning, — c’est le titre de ce roman, — mélodrame pur et simple, dont le moindre tort était de rappeler, sans l’effacer, l’Oliver Twist de Charles Dickens, demeura pour ainsi dire comme non avenu dans la nombreuse famille de fictions du même ordre. que les Ainsworth, les dames et tant d’autres encore se hâtaient de livrer à l’appétit du public, réveillé tout à coup par un subit changement de régime. Sir Edward Bulwer sembla se tenir pour averti qu’il ne gagnerait rien à violenter ainsi ses instincts et sa manière. Il revint immédiatement au roman historique et savant. Un nouvel échec l’y attendait. Le Dernier des Barons n’eut aucun succès. Aussi, découragé cette fois, le romancier se retira-t-il sous sa tente. Il y était enfermé depuis quatre années, et l’on pouvait croire qu’il avait pris définitivement congé de ses lecteurs, lorsque l’apparition de Lucretia est venue prouver que les poètes sont d’humeur tenace, et reviennent volontiers, pour peu qu’un sujet nouveau les captive, dans l’arène vingt fois abandonnée et maudite.

Le romancier relaps nous apprend, — et, ce nous semble, nous l’aurions deviné, — que l’idée première de Lucretia lui parut d’abord propre à la scène. Il essaya de la réduire aux proportions dramatiques ; mais cette fable, trop complexe sans doute, et qui embrassait un trop long espace de temps, échappait à tous les efforts par lesquels l’écrivain