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la discipline monacale, peuvent réaliser des prodiges qu’on aurait tort d’attendre avec une brigade de salariés recrutés au hasard, mal payés et malcontens. Sous le régime actuel de l’industrie, quand une grande opération réussit, il en faut attribuer l’honneur au mérite personnel de celui qui la dirige. L’Algérie offre plusieurs exemples de ce que peuvent l’intelligence et l’énergie passionnée d’un seul homme. Il y a deux ans, la plaine de Souk-Ali, près de Bouffarik, était couverte, comme presque toute la Mitidja, d’eau marécageuse en hiver, de joncs et de roseaux putréfiés en été. Le 20 juillet 1844, M. Borelly-Lassapie obtint la concession de 404 hectares dans ce lieu mal famé, à la condition d’y fonder une vaste exploitation agricole et un hameau de vingt familles. Avant la fin de la seconde année, l’administration constata que M. Borelly-Lassapie a déjà fait élever un corps de bâtiment pour les maîtres et les domestiques, la ferme avec les greniers et les étables, six maisonnettes sur l’emplacement destiné au hameau. Un fossé d’écoulement et d’arrosage, exécuté sur un développement de 5,000 mètres, a commencé l’assainissement des lieux. 22 charrues Dombasle sillonnent la plaine, 20 hectares sont transformés en prairies, 200 hectares sont ensemencés en céréales ; une étendue considérable est préparée pour le grand jardinage, les plantes commerciales, les cultures arborescentes. Près de 10,000 pieds d’arbres d’essences variées ont été plantés en pépinières on en lignes espacées, pour protéger les cultures de leur ombrage. Le bétail, au nombre de 635 têtes, promet une abondante fumure. Bref, le marais de Souk-Ali, qui n’envoyait à Bouffarik que des miasmes pestilentiels, lui fournit du blé, de l’orge, de la viande, en attendant qu’il envoie au marché d’Alger de l’huile, du tabac ou de la soie. On cite encore comme modèles d’exploitation active et intelligente la ferme de M. Vialar à Kouba, celle de MM. de Franclieu dans le canton d’El-Biar, les propriétés de MM. de Saint-Guilhem, de Pina, Fortin d’Ivri, etc., etc. On pourrait peut-être fournir une liste de vingt noms heureux[1].

La foule qui se lance dans une carrière ne tient jamais compte des dangers et des revers ; elle n’a des yeux que pour voir le succès : chacun se range naïvement dans la classe de ceux qui sont prédestinés à réussir. En Algérie, personne n’a voulu remarquer que les résultats favorables, résultats qui sont même des espérances plutôt que des bénéfices acquis, ont été obtenus dans des conditions exceptionnelles. On ne s’est pas dit que les trappistes, communauté de saints ouvriers exempts des embarras

  1. M. le maréchal Bugeaud est moins optimiste ; il réduit à une seule la liste des entreprises florissantes : « Jusqu’ici, dit-il, les essais ne présentent pas de grandes espérances, si ce n’est sur une seule propriété, où il y a un homme remarquable par son zèle, son activité et son intelligence. » - (Réponse à M. de Lamoricière, en date du 30 mai 1845.)