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et des charges de la famille, agissent en dehors du cadre ordinaire de la spéculation ; que si quelques grands propriétaires ont pu se soutenir, c’est grace à leur fortune déjà faite et à l’ardeur, pour ainsi dire apostolique, avec laquelle ils ont abordé l’œuvre algérienne. Il n’est pas de coureur d’aventures qui ne s’égale en zèle et en mérite aux hommes honorables qui ont réussi. Le premier venu, tête creuse et poche vide, croit qu’avec une concession obtenue ou un titre plus ou moins suspect acheté à un brocanteur arabe, il lui suffira de tourmenter un peu la terre pour faire fortune. La spéculation désordonnée se hâte de se mettre en règle. En 1845, les demandes de titres définitifs ont été nombreuses : 133 familles, dont les propriétés représentent en total une somme de 1,127,340 francs, ont obtenu ces titres, en se conformant tant bien que mal aux obligations de bâtisses et de cultures prescrites par l’administration. Les concessions nouvelles ont été sollicitées avec un redoublement d’ardeur. Les bureaux d’Alger ont reçu 1,882 demandes, dont 183 par des étrangers. A Paris, 464 familles[1], réunissant un capital de 15,091,359 francs, se sont présentées au ministère de la guerre. Les demandes de ce genre sont accueillies lorsque les solliciteurs paraissent offrir des, garanties suffisantes. C’est ainsi que M. Ferdinand Barrot a obtenu une concession de 600 hectares, près de Philippeville, à charge d’y établir 20 familles. Les relevés de 1846 n’ont pas encore été publiés ; nous avons lieu de croire que les chiffres de demandes et d’acquisitions définitives suivent leur phase de progression. Les personnes qui connaissent l’Algérie augurent bien d’une société dite l’Union agricole, qui a été admise à fonder un village d’au moins 300 familles européennes, au centre d’un domaine de 3,059 hectares, dans la riche vallée du Sig. L’autorité a exigé que les deux tiers de ces familles fussent françaises, qu’on leur assurât une habitation convenable, un matériel suffisant en bestiaux et autres moyens de travail, que la société fît des plantations, un haras, des bergeries, un moulin à farine, un atelier pour la fabrication des outils d’agriculture. La part de l’état dans cette fondation est un secours de 150,000 francs pour les travaux d’utilité publique. La petite colonie, dirigée et soutenue cordialement par quelques officiers, possède déjà une soixantaine de maisons.

La réussite apparente de quelques grands propriétaires ayant frappé l’opinion publique, il y a tendance presque générale aujourd’hui vers une sorte de féodalité coloniale, qui consisterait à livrer de grands domaines à tout spéculateur prenant l’engagement d’y implanter une population ouvrière. Une plume fine et incisive sans âcreté a formulé

  1. Ces familles étaient composées ainsi : hommes, 533 ; femmes, 203 ; enfans, 1,034, dont 631 garçons et 403 filles ; domestiques, 99. Total, 1863 personnes. On remarquera que le sexe masculin fournit le double de l’autre.