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ainsi ce système[1] : « Au lieu de diviser la terre en cent parties et de la donner à ceux qui n’ont rien, vous la donnerez à un seul qui ait quelque chose, à la seule charge d’y loger, d’y nourrir et salarier les quatre-vingt-dix-neuf autres. Tout le monde y trouvera son compte, et la patrie la première. » Le programme est acceptable sans doute ; mais pourquoi ne s’est-il pas exécuté de lui-même chez les propriétaires qui sont en possession des grands domaines ? Pourquoi les artisans et les revendeurs à la suite de l’armée sont-ils les seuls qui aient afflué en Algérie ? Pourquoi les laboureurs français n’ont-ils pas été se grouper sous l’autorité tutélaire des seigneurs algériens[2] ? Pourquoi voit-on partout, selon M. Bugeaud, « les familles installées par les soins du propriétaire très misérables et très dégoûtées de leur sort ? » Démentira-t-on cette phrase, écrite dans la dernière brochure du maréchal, qui n’a pas un mois de date : « Jusqu’ici, ces faibles essais n’ont produit que des déceptions ; ou les familles que l’on s’était obligé d’implanter ne sont pas venues, ou celles qui sont venues sont tombées dans la misère et se sont en allées, parce que les entrepreneurs n’ont pas exercé envers elles cette sollicitude paternelle que les autres colons ont trouvée dans l’administration ? »

De leur côté, les colons ne se font pas scrupule de rejeter sur l’autorité locale le tort de leur impuissance. A les entendre, ils sont paralysés par le despotisme militaire, par l’absence des institutions civiles. Qu’on découpe l’Algérie en départemens, qu’on envoie un assortiment de fonctionnaires civils, depuis le préfet jusqu’au garde champêtre, et tout à coup le sol se couvrira de moissons dorées. Nous ne connaissons pas les faits locaux avec assez d’exactitude pour prendre parti dans ce débat. Nous inclinons à croire néanmoins que les colons s’abusent sur la nature des obstacles qu’ils ont à vaincre. Supposer que les capitalistes et les ouvriers vont affluer, que le travail colonial va s’organiser de lui-même aussitôt que les fonctionnaires algériens ne porteront plus l’épaulette, c’est se faire une étrange illusion. Sans nous prononcer sur les influences qui ont présidé jusqu’ici aux destinées de l’Algérie, nous restons persuadé qu’on ne peut sans injustice imputer au gouvernement la stagnation des travaux. Bien loin de là : les nombreux règlemens qui ont eu pour but de forcer les propriétaires à la culture, de les contraindre à s’entourer d’une population agricole, ont toujours été les principaux griefs des colons contre l’autorité. Récemment encore, l’ordonnance

  1. Très humble Lettre sur les Affaires de l’Algérie à M le duc d’Aumale, par un colon (1846). Cette brochure, remarquablement spirituelle, est attribuée à M. le vicomte de Pina.
  2. On dit que le nombre total des ouvriers ruraux dépasse à peine 2,000, non compris les jardiniers et les maraîchers. Au contraire, avec les cabaretiers, cafetiers, brocanteurs, ouvriers d’ateliers, on ferait une armée.