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d’efforts et d’avantages. L’association agricole proposée par l’abbé Landmann est militaire autant que religieuse ; elle astreint le laboureur à des exercices et à un service fréquens. Également sympathiques par l’intention, ces divers projets provoquent la même critique on n’y trouve pas la garantie du succès industriel ; on n’a pas de foi dans les 100,000 défenseurs qu’on prétend donner à l’Afrique, parce qu’en décomposant ces projets d’installation, l’économiste n’entrevoit pas comment ces 100,000 familles militaires pourraient vivre et prospérer. Nous allons développer l’objection en exposant les idées du gouverneur-général.

Le système du maréchal Bugeaud n’a pas été produit tout d’une pièce. Sa théorie s’est formulée et modifiée à la longue, un peu au hasard, suivant le cours des événemens et le choc de la contradiction. Un premier mémoire, daté de 1837 et publié l’année suivante[1], pendant que le maréchal commandait la province d’Oran, a été écrit sous l’impression des mouvemens hostiles dont cette province a toujours été le principal théâtre. Après avoir déclaré que des ouvriers civils, disséminés sans ordre au milieu des Arabes, ne tarderaient pas à être anéantis, l’auteur propose, comme unique chance de salut, l’introduction d’une population guerrière, habituée aux travaux des champs, « organisée à peu près comme le sont les tribus arabes, » résignée à « commencer son établissement avec la tente en poil de chameau. » Suivant lui, la qualité de propriétaire dans une contrée où la terre inculte est à peu près sans valeur, la solde et la ration de campagne pendant trois ans et la solde simple pendant les deux années suivantes, trois pantalons de drap garance, deux blouses de toile, un burnous et une casquette, des matériaux de construction pour les villages qui doivent remplacer plus tard la tente bédouine, un certain nombre d’instrumens aratoires et de bestiaux par escouade, devaient être des appâts suffisans pour des soldats destinés à rester sans état et sans ressources à l’expiration de leur service. Le personnel de chaque compagnie devait être composé d’un bataillon de 600 à 1,000 hommes, distribués suivant la hiérarchie régimentaire. Le chef de bataillon aurait eu droit à quatre lots de bon terrain, le capitaine à trois, et les officiers inférieurs à des portions moindres, suivant leurs grades. M. Bugeaud admettait que chaque groupe de 600 soldats mariés donnerait, en quinze ans, 3,600 têtes, et, quinze ans plus tard, fournirait 1,000 guerriers. La dépense totale pour l’entretien et l’installation de la colonie, pendant les cinq premières années, était évaluée à 1,242,800 francs, c’est-à-dire à 100 francs par tête, en comptant une moyenne de cinq personnes par famille. Restait la difficulté

  1. Mémoire sur notre établissement de la province d’Oran (juillet 1837). — Paris„ 1838.