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année leur garnison avec un congé de six mois pour aller se marier dans leur pays. En supposant qu’un tel nombre de volontaires se présentât, ce qui est encore incertain[1], comment les remplacerait-on dans l’armée ? Proposerait-on un recrutement supplémentaire ? Il est douteux que les chambres consentent à aggraver les rigueurs de nos institutions militaires, à sacrifier les citoyens auxquels la loi actuelle offre des chances d’exemption. Laissera-t-on des lacunes dans les cadres en répartissant le service sur les soldats restés sous les drapeaux ? Mais déjà on leur impose, d’une manière peu légale peut-être, un surcroît de travail : on les transforme en maçons et en pionniers pour commencer les constructions et les défrichemens au profit de leurs camarades. On entrevoit dans ces innovations beaucoup de difficultés.

Le moyen imaginé pour fonder des familles ne nous paraît pas offrir de sérieuses garanties. Le mariage n’est une base solide pour la société qu’autant qu’il reste une chose grave et respectée. Il ne suffit pas de crier à des soldats : Prenez femme ! ainsi qu’on leur commanderait la charge en douze temps. Dans ces contrats d’urgence, les sympathies et la prudence seraient sans doute peu consultées. Après la comédie annuelle du retour des 10,000 rentrant triomphalement en Algérie avec leurs épouses de la veille, il serait bien à craindre qu’on ne vît le plus grand nombre de ces ménages se disloquer et donner l’exemple du désordre. Le maréchal a dit, en réfutant un projet en opposition avec le sien : « Le dominateur doit être plus fort, plus moral, plus actif, plus habile que le peuple à dominer. » Nous nous étonnons qu’il trouve des gages de moralité et d’énergie austères dans les 100,000 familles improvisées.

Nous arrivons à l’objection capitale. « Trois années sont données aux colons militaires pour fonder leur existence future. » Telle est l’expression du maréchal. Ce terme doit-il suffire dans les conditions où on prétend placer ces soldats transformés en cultivateurs ? Nous sommes persuadé du contraire, et notre opinion a pour base ce que nous avons dit précédemment du désavantage de la petite culture en Algérie. Les 350 millions fournis par l’état seront absorbés par les frais de voyageas ou de transport des soldats en congé, par la haute paie des soldats occupés aux défrichemens[2], l’achat des matériaux de construction, des

  1. Après un appel fait, comme essai, par M. le maréchal Bugeaud, 25 officiers de divers grades et 3,985 sous-officiers et soldats de la division d’Alger se sont fait inscrire volontairement. En admettant un nombre à peu près égal pour les deux autres divisions de l’Algérie, on réunirait le contingent de la première année ; mais ne doit-on pas faire un peu la part de la flatterie dans ces signatures données sous les yeux du puissant auteur du projet, et d’ailleurs le premier élan se soutiendrait-il pendant dix ans ?
  2. Le service du génie et celui des ponts-et-chaussées allouent aux soldats employés aux travaux d’utilité publique en Algérie de 35 à 45 centimes pour la journée de travail de huit à dix heures.