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leurs fantasques évolutions m’inquiétaient ; j’avais peur qu’ils ne jetassent quelque ridicule sur cette sainte cause de la liberté allemande ; or, cette fois, je l’avoue, en voyant une jeune phalange revenir à l’antique et immortelle poésie, j’éprouve une double joie. La politique, sans doute, n’a pas tout-à-fait disparu, nous allons la retrouver encore ; seulement elle n’étouffe plus les fleurs de l’ame et de l’imagination ; la gerbe que j’apporte est plus variée et plus vive.

Entendons-nous bien toutefois et n’exagérons rien. Si je cède très volontiers à un sentiment d’indulgence, je n’abandonnerai pas les droits de la critique ; Ce ne sont pas des chefs-d’œuvre que j’ai à présenter au lecteur ; je prétends surtout signaler les symptômes d’une réaction, d’un retour salutaire vers les sereines régions de l’art. Les uns s’en approchent déjà avec beaucoup de fermeté et de grace, les autres ont plus de bonne volonté que de vigueur ; ceux-ci, qui s’attardent encore dans les fausses routes d’un mauvais système, indiqueront par le contraste tout ce qu’il y a à gagner dans une voie plus féconde. C’est moins un groupe d’artistes à étudier qu’une situation nouvelle à mettre en lumière ; mais là où les poetaœ minores nous auront introduits, les jeunes maîtres, les chefs, avertis par l’exemple, peuvent arriver demain et renouveler leur talent. Je dois parler aujourd’hui de M. Maurice Hartmann, de M. Geibel, de M. Léopold Schefer ; je puis retrouver bientôt dans les mêmes sentiers en fleurs M. Lenau et M. Herwegh, M. Anastasius Grün et M. Henri Heine ; je n’ai pas voulu dire autre chose.

Le plus original, le plus distingué, à coup sûr, des poètes que j’annonce ici, M. Maurice Hartmann, pourrait bien, avant quelques années, grossir la courte liste des noms placés au premier rang par l’Allemagne contemporaine. Son livre, la Coupe et l’Épée, a été accueilli avec une sympathie très vive par les juges les plus accrédités. Il a déjà reçu les honneurs d’une seconde édition, et les qualités charmantes et fortes qui s’y rencontrent ne justifient pas mal ce succès rapide. M. Hartman est un enfant de la Bohème ; en présence d’une magnifique nature, fils d’un pays cruellement éprouvé, descendant des hussites et voisin des Slaves, il n’a eu qu’à ouvrir son ame aux riches impressions des plus émouvans spectacles. En même temps que les belles montagnes de la Bohême lui révélaient de fortes et sombres couleurs, les souvenirs de sa patrie vaincue, non loin de là les cris de la Pologne, le mouvement inquiet de la famille slave, et de la Croatie jusqu’au Dniéper tant de voix désolées s’appelant par-dessus les cimes, tout cela irritait encore son ardente inspiration. C’est là du moins l’effet que produit le livre de M. Hartmann. Ce n’est point le parti pris d’un rimeur qui veut composer un recueil d’hymnes politiques : point de programme, point de déclamations apprises ; mais ses ballades, ses élégies, ses petits tableaux les plus charmans, se colorent malgré lui de reflets éclatans et lugubres. Deux choses recommandent surtout M. Hartmann, la sincérité des sentimens et l’énergie de la forme, une sympathie rapide et une décision toute virile, le cœur et le bras, ou, comme il le dit, la coupe et l’épée.


« Moi qui viens du pays des hussites, je crois que j’ai communié du sang de Dieu. L’amour bouillonne au fond de mon cœur ; l’amour, n’est-ce pas le sang divin ? Mon cœur en est rempli comme une coupe.

« Moi qui viens du pays des hussites, je crois aux paroles devenues chair, je crois que les pensées deviennent légion, je crois que toute poésie est une sainte épée. »