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mère ; il monte sur l’échafaud, souriant toujours, et bien sûr que sa grace va lui être lue à haute voix sur le lieu du supplice ; il souriait encore, quand sa tête roulait sous la hache. Vous devinez tout : la courageuse mère avait trompé son fils, voulant qu’il mourût comme un homme.

On ne saurait nier le talent qui brille dans ces compositions, et il n’est pas impossible qu’il y ait là une vraie nature de poète. Si M. Maurice Hartmann était venu quelques années plus tôt, il aurait obtenu peut-être le succès qui a couronné M. Herwegh. Pour ma part, je préfère sans hésiter de telles inspirations, énergiques et franches, à la vigueur un peu factice des Poésies d’un vivant. Les sentimens virils qui donnent souvent à la muse de M. Herwegh une incontestable puissance frémissent visiblement dans les vers de M. Hartmann ; mais ces émotions, M. Hartmann ne les exploite pas, il n’en fait pas un thème banal, un programme officiel ; elles possèdent son cœur et se répandent librement dans toutes les œuvres de son esprit. De là, en des sujets bien différens, ces cris de l’ame inconnus à M. Herwegh, et cette même énergie tragique attestant toujours la présence des douleurs réelles au milieu des rêves de la fantaisie. Ainsi, dans la pièce des Trois Fils :


« Sois tranquille, femme ; quand une flèche me blesserait mortellement dans la bataille, on m’a appris une formule magique qui me guérira promptement. Qu’un de mes fils prononce les paroles miraculeuses, eussé-je le cœur brisé, je ne mourrais point. »

« Il va au combat et revient le cœur brisé. Déjà son regard s’éteint, mais la douleur ne l’effraie pas : « Mon fils, mon fils, prononce vite la formule ; vite, le temps s’écoule. »

« Je serais bien fou, vraiment ! dire un mot qui m’empêchera d’hériter ! La flèche t’a percé le cœur ; je ne commets pas de meurtre en te laissant mourir. » Ainsi parle l’aîné, puis il se tait : il savait la formule qui eût chassé la mort.

Alors le père : « Le temps me manque pour te maudire… Toi, mon second fils, viens, prononce les paroles sacrées sur ma blessure. J’ai toujours été pour toi le père le plus dévoué ; hâte-toi, mon fidèle enfant, je souffre bien ! »

« L’enfant prononce la formule en toute hâte, il la dit de nouveau ; mais le sang jaillit à flots, toujours plus fort, toujours plus bouillant. « O ma femme ! ô mon fils ! mes forces m’abandonnent. Ah ! le talisman m’a cruellement trompé ! »

« Il ne t’a pas trompé, dit la mère. Voici mon secret, puisqu’il le faut : cet enfant n’est pas ton fils ; fais parler le plus jeune. » - « Non, qu’il se taise, femme maudite ! et vous, partez pour la tombe, mon ame et mon corps ! »


Ajoutez à ces dramatiques ballades des mélodies toutes charmantes, la gracieuse et intrépide chanson Si j’étais roi, les belles strophes à Nicolas Lenau, vous ne me reprocherez pas une sympathie trop indulgente pour un écrivain vraiment inspiré, qui, sentant aussi bien que ses rivaux toutes les questions de l’heure présente, ne leur a sacrifié ni les vifs élans de l’imagination, ni l’élégante liberté de la lyre !

Il ne faut pas demander à M. Emmanuel Geibel la forte et vivace inspiration de M. Hartmann : M. Geibel est un poète aimable, d’une humeur facile, d’une verve brillante et légère. Né dans l’Allemagne du nord, aux bords de la mer, il a écouté de bonne heure les invitations des flots voyageurs qui l’ont porté vers