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où il ira s’inspirer au soleil, il a voulu connaître au moins par ses confrères ces plages étincelantes, et il a pris le souvenir de ses lectures pour l’impression des lieux qu’il invoquait en songe.

Rien n’est plus charmant que l’impression du Midi sur les hommes du Nord, mais il la faut sincère et née spontanément sous l’influence de ces contrées heureuses. L’Espagne, la Grèce surtout, dès qu’il les eut visitées, inspirèrent à M. Geibel des compositions plus franches que tous ses vers datés d’Allemagne. C’est une bonne fortune pour le jeune poète de Lubeck d’avoir habité Athènes pendant une année entière. Cette mer divine dont parle l’Iliade, les rossignols de l’OEdipe à Colonne, les dieux de Phidias, le chœur des Grace : entrevu au penchant des collines sacrées, et particulièrement tout ce qu’il y a de plus léger, de plus indulgent, de plus abandonné dans les mœurs antiques, tout cela se joue avec un charme vrai dans les poésies de M. Geibel. Ce n’est pas sans doute la grace suprême d’André Chénier, la pure inspiration grecque miraculeusement retrouvée ; l’auteur, qui ne pouvait lutter avec le poète de l’Aveugle, a cherché plutôt un mélange très habile de la simplicité athénienne et de toutes les coquetteries, de toutes les subtilités modernes. De là un composé qui ne manque pas d’une certaine saveur. On pouvait craindre, je l’avoue, que le jeune écrivain, une fois descendu sur ces terres païennes, ne s’abandonnât trop aisément aux déesses effrénées, mais il s’est placé dès le premier pas sous la protection de Minerve.


« Toi qui habites les hauteurs de ces monts, Pallas aux yeux bleus, jette un regard ami sur le poète. Eros m’a bien accueilli sans doute, et le rouge Bacchus me sourit gaiement ; mais toi, ô déesse ! donne au plaisir la mesure, la sagesse ; rends mon humeur paisible, et règle la jouissance. Quand la jeunesse se livre à ses transports de feu, elle paie cher, hélas ! ses fugitives voluptés. Au contraire, si tu apaises le tumulte de ton regard à la fois sévère et souriant, comme Orphée, avec la lyre bénie, domptait les lions farouches, jamais alors, jamais la coupe renversée ne déshonore le festin, jamais la jeune fille, rouge de honte, ne détourne les yeux ; Vénus, parée de fleurs, se promène au milieu de l’assemblée, et la danse des Graces se déroule autour de la fête charmante. »


C’est aussi Minerve, je pense, qui a révélé à M. Geibel la grace de ces poètes anciens qu’il célèbre avec des impressions toutes neuves, et sans rien emprunter à l’enthousiasme convenu des commentateurs. J’aime que dans l’un de ses plus vifs sonnets il interpelle brusquement tous les philologues, tous les faiseurs de notes, tous les lexicographes de son pays, et les invite à venir fouler le sol de la Grèce moderne. Une matinée aux bords de la mer, une soirée sur la place publique, leur expliqueront mieux Sophocle et Aristophane que tout l’indigeste fatras des érudits allemands. M. Geibel aurait pu même consacrer plus de quatorze vers à ce sujet ; je m’assure qu’il y a là matière pour une belle et bonne satire. Cette répétition éternelle de choses cent fois redites, cette accumulation de notes inutiles, ces surcharges épaisses qui déshonorent les plus beaux livres, c’est bien certainement une des plus grandes plaies de l’Allemagne lettrée ; et, pour un Heyne, pour un Ottfried Muller, pour un Welcker, on sait quelle est la formidable armée de ces travailleurs acharnés à défigurer les maîtres. M. Geibel pouvait écrire cette satire de ce ton vif et ingénieux qui lui sied, et il s’y serait joué