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n’ait donné à M. Schefer une excuse dont celui-ci a profité trop aisément. Le mysticisme sentimental de Jean-Paul laisse encore une large place à l’énergie créatrice de l’artiste ; les magnifiques éclairs qui illuminent son chaos ne sont pas toujours le produit du hasard : on y sent le réveil soudain de la volonté. Eh bien ! c’est la volonté qui manque à M. Léopold Schefer. Phénomène bizarre ! Voilà un poète que les doctrines de Hegel ont rempli d’enthousiasme ; il les prêche avec une conviction passionnée, avec un zèle apostolique. Or, ce rationalisme qui se traduit chez ses co-religionnaires en des doctrines politiques si nettes et donne naissance au radicalisme le plus décidé, ce système hautain devient chez M. Schefer un mysticisme inattendu ! Tandis que ses amis ne demandent à la philosophie de Hegel que des excitations révolutionnaires, il lui emprunte une douceur si fervente, une sérénité si calme, si résignée, si avide de paix, qu’il est conduit bientôt à l’inertie du quiétisme. Il lui arrive souvent, je le sais, de prêcher, comme l’école hégélienne, le culte de l’esprit, la fierté, l’indépendance de la raison. Qu’importe ? Même en exaltant ces dogmes sublimes, sa parole languissante engourdirait les ames ; quand le mysticisme n’est plus dans le fond des choses, il reste encore dans le langage et enchaîne le hardi penseur. Tous les jeunes chefs de l’école hégélienne se sont transformés en tribuns ; ils ont quitté les cimes de la spéculation pour les luttes de la place publique. C’est à ce moment même que M. Léopold Schefer, enfermé dans sa solitude, est retourné avidement vers les sources dangereuses où l’Allemagne a bu si long-temps l’oubli de la terre et le dédain de la vie active. Certes, ce n’est pas moi qui conseillerai jamais à M. Léopold Schefer d’imiter les démocrates de la jeune école hégélienne ; je crois qu’il a pris la meilleure part dans l’héritage du maître, puisqu’il en a gardé le spiritualisme, le culte de la pensée, tous les sublimes soucis de l’ame répudiés si violemment par MM. Feuerbach et Stirner. Toutefois il y a bien des degrés entre l’activité turbulente de la jeune école et le quiétisme contemplatif de M. Schefer. Si l’auteur du Bréviaire des laïques pouvait réveiller sa volonté endormie, s’il pouvait soumettre sa pensée à un travail opiniâtre et mettre en œuvre, comme un laborieux artiste, les confuses richesses que renferme son ame, le philosophe y gagnerait autant que l’artiste. Chez lui, en effet, la philosophie et la poésie, bien loin de s’entr’aider, se corrompent mutuellement ; c’est la philosophie mystique de M. Schefer qui enlève au poète l’amour et le sentiment de la forme, et, si par hasard la pensée se redresse, la langue indolente adoptée par le poète énerve à son tour les doctrines qu’il veut chanter.

Cette obstination du mysticisme allemand, dans une époque comme la nôtre et chez un poète qui appartient à l’école de Hegel, est vraiment un phénomène singulier, une curiosité bizarre. En vain M. Schefer s’est-il raclé à la vie véritable, en vain a-t-il vu des contrées diverses, l’Italie, l’Orient, les capitales tumultueuses : il semble qu’il ait passé son existence au fond d’un cloître. S’il eût vécu il y a plusieurs siècles, dit un écrivain allemand, Léopold Schefer eût fondé une religion. Je ne sais, mais il est certain que la philosophie hégélienne est devenue pour lui toute une église, et que, du fond des chapelles obscures, sa voix nous arrive comme la psalmodie sans fin d’un moine agenouillé.

Le premier poème de M. Schefer, le Bréviaire des laiques, avait charmé bien des esprits, malgré l’inexpérience littéraire qu’il accuse si hautement. Ce bréviaire est un recueil de chants religieux et philosophiques, appropriés à chaque