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commodes et convenablement disposés, et l’on concevra quelle prodigieuse quantité de papier-poudre une personne, même peu expérimentée, pourrait fabriquer en peu de temps. Si l’on opère sur le coton, il faut prendre le coton travaillé de préférence au coton brut ; car, dans l’état naturel du coton, chaque brin, chaque poil est revêtu d’une sorte d’épiderme qui offre un certain obstacle à l’action de l’acide. Il faut aussi que la substance qu’on veut rendre explosive soit entièrement plongée dans cet acide. Le lavage, qui a pour objet d’enlever l’acide qui resterait adhérent à la substance végétale, doit être renouvelé à plusieurs reprises avec de l’eau pure et ne demande pas de soins particuliers.

La dessiccation, qui doit être complète et qui ne s’obtient qu’à l’aide de courans d’air chaud, est entourée de dangers. De grandes précautions sont imposées à l’opérateur, car cette chaleur même qui sert à sécher la substance explosive peut, dans certaines circonstances, déterminer l’explosion et produire des accidens graves. C’est ce qui est déjà arrivé plusieurs fois, même à une température peu élevée et dans des circonstances qui ne semblaient admettre aucun accident. Nous ne citerons qu’un seul fait à l’appui de notre assertion. MM. Combes et Flandin avaient placé une demi-livre de coton-poudre sur une claie au-dessus de deux bouches de chaleur d’un poêle ; le thermomètre suspendu au milieu de l’air chauffé ne marquait que 60 à 65 degrés centigrades. Tout à coup une forte explosion se fait entendre : la fenêtre, les portes de la chambre sont brisées ; l’une de ces portes, qui était d’un bois très solide, est arrachée de ses gonds ; les meubles, particulièrement trois corps de bibliothèque adossés à la cloison séparative de la pièce voisine et opposés au poêle, sont renversés ; la cloison même est repoussée d’une manière notable ; enfin trois personnes, qui surveillaient l’opération, ont été blessées. Pour obvier à de pareils accidens et prévenir de plus grands malheurs, on devrait disposer les appareils à dessiccation de telle façon que la chaleur fût uniforme et au-dessous de la température de l’eau bouillante. Le moyen le plus favorable pour atteindre ce but serait d’établir des courans de vapeur libre ou d’eau chaude dans des tubes placés à quelque distance de la nouvelle poudre.

Le coton ainsi transformé diffère peu du coton ordinaire qui n’a pas subi l’action chimique de l’eau-forte ; il est peut-être plus rude au toucher. Inaltérable dans l’eau, il pourrait subir sans avaries de longs voyages sur mer. Quand on l’enflamme, il détonne sans laisser de résidu et sans noircir le papier ordinaire sur lequel il est placé ; le feu ne se communique pas même à la poudre à canon placée sous lui. La grande légèreté en rend le transport facile. La fabrication de cette substance est peu dispendieuse : 240 livres (170 kilogrammes) coûteraient, à part la main-d’œuvre, 317 francs. La nouvelle poudre, préparée avec le papier et surtout avec la pâte de papier, serait beaucoup moins coûteuse encore ; car 200 livres ne s’élèveraient guère qu’au prix de 97 francs. D’ailleurs, le coton explosif étant généralement reconnu comme produisant trois fois plus d’action que la poudre à canon, on conçoit quelle économie résulterait de l’emploi de cette substance.

A tous ces titres, le coton-poudre devait être accueilli avec faveur. Il pourrait être utilisé dans les arts, si jusqu’à présent des inconvéniens manifestes n’en contre-balançaient en partie les avantages. L’emploi de la nouvelle poudre n’est peut-être pas même dénué de certains dangers : des mortiers d’épreuve de fonte et de fer ont été brisés par des charges assez faibles et ont blessé grièvement