Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inattendue, ne sachant trop que répondre, Domingo serra dans ses petites mains les mains de la jolie señora et les porta lentement à ses lèvres. Loin de faire la moindre résistance, les blanches mains se pressèrent d’elles-mêmes sur une bouche timide, et l’une d’elles, s’égarant, entoura le cou du captif, qui, enivré d’un voluptueux parfum, sentit son front s’empourprer sous un long baiser. Catalina, éperdue, se releva brusquement, ses yeux effarés rencontrèrent le regard étincelant et surpris de doña Béatrix. Heureusement pour le prisonnier, l’inexpérience a parfois son charme, et la señora connaissait les privilèges de l’extrême jeunesse ; heureusement aussi le geôlier vint frapper à la porte. Il fallait se hâter : Domingo, ayant bien vite revêtu son déguisement, sortit fort troublé du cachot et se rendit chez Urquiza, se demandant comment finirait cette aventure.

Le négociant embrassa son commis avec effusion : c’était un grand’ bonheur pour lui, assura-t-il, de le revoir sain et sauf ; mais l’affaire, quoique assoupie, était loin d’être terminée. Avant tout, il fallait quitter sa maison et chercher une retraite plus sûre. Il avait tout préparé, les hardes du jeune homme étaient déposées dans un lieu caché où il allait le conduire lui-même. Sans plus attendre, il prit Domingo par le bras et l’entraîna par des rues détournées vers une petite maison isolée située à l’entrée de la ville. Une camériste accorte et fort jolie, qui semblait attendre les visiteurs nocturnes, ouvrit au premier coup frappé. Jetant sur Domingo un regard curieux, elle précéda les deux arrivans dans un élégant salon, vivement éclairé, où se voyaient les apprêts d’un souper. Domingo observa qu’on avait mis trois couverts. Il regarda la camériste à son tour, et celle-ci lui adressa un sourire d’intelligence qu’il ne put s’expliquer. Quand ils furent seuls, Urquiza apprit à son ami ce qui s’était passé. Le corrégidor, excité par les parens implacables de Reyes, avait refusé long-temps, lui dit-il, d’entendre raison. Pour en venir à bout, Urquiza avait dû faire un officieux mensonge. Il avait assuré que Domingo et doña Beatrix étaient mariés secrètement. Cette assertion aplanissait toutes les difficultés, car, Béatrix étant cousine de Reyes, la mort de celui-ci, au lieu d’être un meurtre qui demandait vengeance, devenait un petit drame de famille que l’on avait tout intérêt à étouffer. Le corrégidor, sur cette affirmation, avait consenti à un élargissement qui avait toutes les apparences d’une évasion. Il ne restait plus qu’une formalité à accomplir, c’était d’épouser en effet doña Béatrix, qui n’avait pas craint de se compromettre si ouvertement pour le sauver. — Au reste, ajouta Urquiza, elle a du goût pour vous plus que je ne puis vous le dire. Voyez la bonne fortune ; on vous donne avec la liberté la plus jolie femme de Païta !

Domingo regarda le négociant avec stupeur. Sous cette complication