Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avaient tirée d’affaire plus d’une fois. Au moment où doña Béatrix lui offrait la main pour l’aider à descendre deux marches difficiles, le faux commis saisit vigoureusement par la taille la señora surprise et la poussa violemment sur le señor Urquiza. Tirant alors la porte, il fit tourner deux fois la clé dans la serrure, l’arracha à la hâte, s’élança dans la rue et courut vers le port. Arrivé là, il détacha une barque, la poussa au large, et se mit à ramer avec toute l’adresse d’un matelot qui a doublé le cap Horn. Quand elle eut fait un mille, Catalina reprit haleine et regarda la haute mer. Les flots étaient calmes, les étoiles brillaient au ciel, une folle brise de terre poussait son canot au large, Elle le laissa dériver et s’abandonna, comme une plume, au souffle de la destinée.


III.

Après avoir, au clair des étoiles, sondé du regard la route qu’elle venait de suivre, après avoir écouté avec angoisse si aucun bruit de rames ne se mêlait au murmure du vent et des flots, Catalina, brisée de fatigue, se coucha dans son canot et s’endormit. Quand elle rouvrit les yeux, le soleil était levé depuis plusieurs heures. Poussée par la brise, entraînée sans doute par quelque courant, la barque avait fait du chemin pendant la nuit. On n’apercevait plus la terre, et la fugitive se trouva perdue, sans vivres, sans boussole, au milieu de l’Océan. Ramer sans savoir où aller, c’était prendre une peine inutile ; elle résolut donc d’attendre la fortune et se croisa les bras. Vers le soir, Catalina, dont les regards interrogeaient en vain depuis long-temps tous les points de l’horizon, crut apercevoir une voile. Elle reprit alors ses avirons et courut de toutes ses forces vers cette espérance lointaine, que l’ombre menaçante de la nuit pouvait lui ravir. Par bonheur, le navire entrevu cinglait dans sa direction ; elle put s’en rapprocher assez rapidement. Quand elle fut à bout d’haleine, elle attacha son mouchoir à son aviron et se mit à faire des signaux de détresse. Après quelques minutes d’anxiété, elle eut l’inexprimable joie de voir le navire serrer au plus près et venir droit sur elle. On l’avait aperçue ! Alors la prudence s’éveilla dans l’esprit de cette étrange fille, et ne sachant à qui elle allait avoir affaire, ni d’où venait ce bâtiment, elle songea à préparer son entrée. Son plan fut bientôt arrêté. L’obscurité croissante de la nuit pouvant déjà dérober sa manœuvre à la vue des survenans, elle appuya vigoureusement le pied sur le bord de son canot, et lui imprima en trois secousses un si rude balancement, qu’il chavira. Arès avoir plongé, elle revint sur l’eau, s’accrocha à l’embarcation, se hissa, et parvint à se placer à califourchon sur la quille, puis elle attendit. Catalina avait adopté à tout hasard le rôle de naufragé, elle