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jours plus tard à la Plata, son procès y fut révisé, et comme aucune charge sérieuse ne s’élevait plus contre elle, elle fut acquittée et mise en liberté.

Cette affaire, comme on pense, avait fait grand bruit dans la province. L’alferez Pietro était l’objet d’une curiosité générale, et son aventure le sujet intarissable de toutes les conversations. Cette situation, si équivoque qu’elle fût, car la justice des hommes a le triste privilège d’imprimer le plus souvent une marque fâcheuse sur le front même de ceux qu’elle absout, ne déplaisait pas à cette nature plus orgueilleuse que délicate. La señora, désolée de tout ce bruit, n’aspirait qu’à regagner sa paisible retraite ; mais don Martin lui fit comprendre que le moment était mal choisi pour un mariage : l’intérêt de Juana, assurait-il, exigeait que l’on donnât aux événemens le temps de s’assoupir ; il soutint avec force son opinion et repoussa les objections de la señora en homme qui en sait plus qu’il n’en veut dire. Quel que fût le fond de sa pensée, il servit merveilleusement l’alferez, pour qui ce mariage était presque aussi redoutable que la potence. La señora consentit enfin à une séparation qu’on lui assura devoir être de courte durée ; elle donna de l’argent à l’alferez, qui feignit, en la quittant, un grand désespoir, et jura d’être avant trois mois aux pieds de la meilleure des mères et de la plus belle des fiancées. Aussitôt après le départ de l’excellente femme, don Martin fit appeler Pietro. « Señor alferez, lui dit-il en le regardant fixement, n’avez-vous jamais habité la Conception, et n’avez-vous pas connu le capitaine Miguel de Erauso ? C’était mon ami. » Catalina pâlit affreusement. « Si vous m’en croyez, continua-t-il, vous partirez ce soir, vous irez droit devant vous tant que vous trouverez de la terre, vous changerez de nom, et vous ne mettrez plus les pieds dans ce pays. À bon entendeur, salut ! » L’alferez ne se fit pas répéter deux fois ce conseil, et il alla sur-le-champ faire emplette d’un cheval ; une heure après il sortait de la ville.


V.

La cité la plus prochaine était la Paz ; ce fut vers la Paz qu’il se dirigea, et il y arriva assez rapidement grace à la vigueur et à l’agilité de sa monture. Le cheval qu’il venait d’acheter à fort bon compte était un animal superbe, noir, sans tache, luisant comme l’aile d’un corbeau ; avec sa crinière nattée suivant la mode andalouse, sa selle de cuir jaune brodée de laine rouge et piquée de fil blanc, c’était bien la monture d’un élégant caballero. Cheval et voyageur furent remarqués en arrivant sur la place de la ville ; les curieux s’attroupèrent et se demandèrent