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piquante comme les beautés de Cadix, ni blanche et voluptueuse comme les femmes de Valence ; c’était une grande personne blonde à la taille admirablement svelte, avec des yeux noirs frangés de longs cils bruns. Son regard éclatant et tout-à-fait méridional contrastait étrangement avec la blancheur de son teint et la couleur de ses cheveux ; c’était un singulier mélange de douceur germanique et d’énergie arabe. Je ne parle point de ses pieds, elle n’en avait presque pas. Bref, l’alferez la trouva fort à son gré. Merveilleusement accueilli dans la maison de l’alcade, il déploya pour plaire toutes les graces de son esprit. Il raconta avec à-propos, et sans fatiguer son auditoire, quelques épisodes de ses voyages. Il parla de choses qu’il savait, de beaucoup d’autres qu’il ne savait pas, détournant adroitement la conversation et la variant avec art. Il plut, en un mot, dans le salon de cette petite ville, où sans doute les beaux diseurs étaient rares. Ce devait être un précieux compagnon de route, pensaient ses hôtes, et l’alcade se réjouissait autant de l’heureuse rencontre que don José lui-même. La clairvoyance n’était pas la vertu principale de don Pedro de Chavarria, et l’alferez savait à quoi s’en tenir à cet égard. Dès la première heure, il avait remarqué que les beaux yeux de la señora rencontraient bien souvent les regards du cousin Calderon, et ils semblaient avoir en ce moment mille secrets à leur dire. Avant la fin de la soirée, don José ne doutait plus du malheur de l’alcade. Comme, au demeurant, ce n’était pas son affaire, il s’en préoccupa peu et prit congé de ses hôtes pour aller faire ses préparatifs de départ.

Depuis long-temps Catalina n’avait éprouvé une aussi grande tranquillité d’esprit ; tous les obstacles s’aplanissaient devant elle. Qui eût pu lui dire, en effet, que cette soirée qui faisait sa sécurité, que cet amour qu’elle venait de deviner, renfermaient en germe une sanglante tragédie qui devait bientôt mettre un terme à sa folle et vagabonde existence !

Le lendemain, lorsque don José se rendit à l’heure convenue devant la porte de l’alcade, il y trouva une caravane entière prête à partir. On avait préparé pour doña Maria une de ces litières ou portantines, sorte de chaises à porteurs soutenues par deux mulets, moyen de transport fort en usage à cette époque dans les pays espagnols, et dont on retrouve communément encore le modèle en Sicile. Quatre domestiques bottés jusqu’aux hanches, armés jusqu’aux dents, montés sur des mules vigoureuses, se disposaient à escorter leur maîtresse. Un beau genet, tenu en main, attendait don Pedro de Chavarria, et le señor Calderon arriva bientôt caracolant avec grace sur un de ces chevaux roses dont l’étrange nuance se rencontre assez souvent dans les races espagnoles. C’était un long et pénible voyage que celui de la Paz à Cuzco, et les dames de notre époque, habituées au moelleux balancement de leurs