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ses compagnes, et toutes ses compagnes l’embrassèrent. La procession se rassembla dans le chœur, on y chanta les prières accoutumées, et la lourde porte du couvent se ferma sur la monja alferez. La nouvelle de cette conversion se répandit rapidement, et pendant une semaine on ne parla pas d’autre chose d’un bout à l’autre du Pérou.

Comment s’arrangea Catalina de cette réclusion nouvelle et quelle vie fut la sienne dans l’intérieur de ce couvent paisible, cela n’est pas très facile à dire. Si l’on en croit ses notes rapides et incomplètes, elle sut se faire aimer des religieuses et mérita, par une conduite exemplaire, la bienveillance de la supérieure. Pour mon compte, j’ai peine à me figurer notre alferez pudiquement voilé, un scapulaire au cou, vêtu d’une robe de laine blanche et égrenant avec dévotion son rosaire ; j’imagine plutôt que, charmée pendant quelques jours du bruit que faisait son aventure, ravie au fond du cœur d’un rôle important qui convenait à son amour-propre insatiable, Catalina commença de mourir d’ennui dès qu’on ne parla plus d’elle. Ce qui prouverait que je n’ai pas tort de penser ainsi, c’est que, cinq mois après, le bon évêque étant mort, elle parvint à se faire envoyer à Lima dans un couvent du même ordre, et, à Lima, elle obtint la permission de retourner en Espagne.

Le 1er novembre 1624, la monja alferez arrivait à Cadix. Elle avait repris, pour voyager, des habits d’homme, et cette précaution était fort nécessaire, car sa renommée avait traversé l’Atlantique avec elle, et son déguisement ne la dérobait pas toujours à la curiosité publique. Après quelques jours de repos, elle gagna Séville et Madrid. Là elle se présenta chez le comte d’Olivarez, pour qui elle avait une lettre. Son intention n’était pas de retourner au couvent ; le cloître ne convenait décidément pas à ses allures ; elle voulait au contraire solliciter une récompense, demander le prix de ses services militaires et s’assurer une existence indépendante. Au demeurant, la monja ne s’était pas enrichie dans le Nouveau-Monde. Le roi fut curieux de la voir ; il se la fit amener par le comte d’Olivarez, et paya royalement sa curiosité. Sur son ordre, il fut accordé à Catalina de Erauso une pension viagère de huit cents écus, et l’ordonnance, signée en août 1625, se trouve encore dans les archives de Séville, ainsi que plusieurs brevets et attestations délivrés par les officiers sous lesquels la nonne avait servi.

Les affaires temporelles réglées à son entière satisfaction, Catalina songea, sur le conseil de ses protecteurs, à mettre en paix sa conscience, qui, je m’obstine à le croire, ne la tourmentait guère. C’était l’année du grand jubilé. On l’engagea à faire le pèlerinage de Rome pour demander au saint-père la plus grande somme d’indulgences possible. Elle partit de Barcelone, toucha Gènes et gagna les états pontificaux. A Rome, elle eut l’honneur d’être admise en la présence de sa sainteté Urbain VIII, qui voulut entendre de la bouche même de Catalina le récit