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vers la politique ou l’éloquence, on n’aurait pas vu revivre en elle une autre Aspasie ? si l’enthousiasme patriotique n’aurait pas fait d’elle une autre Portia ? si l’amour des lettres ne l’aurait pas rendue l’égale de Mlle de Staël ? » — Ô Corinne !

Que M. de Ferrer nous le pardonne ; mais, si indulgent que nous soyons pour l’emphase espagnole, il nous est impossible de partager ici son enthousiasme. Nous croyons que cette pauvre Catalina a fait tout ce qu’elle pouvait faire pour mériter qu’on s’occupât d’elle, et son biographe nous paraît bien exigeant. Femme de lettres, à coup sûr, elle eût écrit de fort mauvais romans ; femme politique, elle eût aidé les harengères de la balle à pendre les vaincus à la lanterne. Si elle était restée chez elle à filer de la laine comme Lucrèce, ou à préparer le puchero comme une honnête Espagnole, elle aurait été désagréable épouse, mère méchante et détestable cuisinière. Enfin le rôle d’Aspasie allait mal à la figure de Catalina, bien qu’elle ne fût pas laide, s’il faut en croire le portrait que fait d’elle un historien espagnol, son contemporain. « Elle est grande, dit-il, pour une femme, sans avoir cependant la taille d’un bel homme. Elle n’a pas de gorge. De figure, elle n’est ni bien, ni mal. Ses yeux sont noirs, brillans et bien ouverts, ses traits altérés par les fatigues plus que par les années. Elle a les cheveux noirs, courts comme ceux d’un homme et pommadés selon la mode. Elle est vêtue à l’espagnole. Sa démarche est élégante, légère, et elle porte bien l’épée. Elle a l’air martial. Ses mains seules ont quelque chose de féminin dans leurs poses plus que dans leurs contours. Enfin sa lèvre supérieure est couverte d’un léger duvet brun qui, sans constituer précisément une moustache, n’en donne pas moins un aspect viril à sa physionomie. » Vous figurez-vous Aspasie avec cette moustache-là !

Si l’on voulait trouver absolument un sujet de comparaison, il serait, ce me semble, plus naturel de citer tout simplement le chevalier d’Éon ; encore le rapprochement entre ces deux existences amphibies, et l’on dirait volontiers monstrueuses, ne peut-il pas se poursuivre bien loin. Le chevalier d’Éon ne ressemble guère à l’aventurière espagnole, et la première différence, c’est qu’homme, sil faut en croire ses biographes (bien que cela ne me paraisse pas indubitablement démontré), il fut condamné, par ordre supérieur, à être femme pendant la dernière moitié de sa vie, tandis que Catalina, femme, devint homme avec l’autorisation du pape. Capitaine de dragons et chevalier de Saint-Louis, diplomate par occasion, intrigant par goût et par nature, coureur de boudoirs par forfanterie, le chevalier d’Éon, homme de cour quand il le fallait et femme séduisante quand il était nécessaire, écrivain mordant et spirituel à ses heures, ne rappelle, sous aucune de ses méta-