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immolé dans leurs retraites solitaires aux mânes de leurs frères massacrés. Ils se laissèrent conduire aux bords de la mer comme un troupeau docile ; on les vit seulement, une fois embarqués, jeter un dernier regard mêlé de larmes à la patrie dont ils s’éloignaient pour toujours. Après avoir hésité sur l’île qui serait choisie pour leur demeure, on finit par les déposer sur le revers occidental de l’île Flinders. Les déportés croyaient au moins y jouir d’une liberté complète qui leur avait été promise et qui leur était due. Rien ne pouvait autoriser les Anglais, après leur avoir ravi leur territoire, à les traiter comme des prisonniers et à les assujettir à un régime disciplinaire, sous prétexte de les civiliser ; c’était bien le moins de respecter les conditions stipulées par les tribus pour le grand sacrifice qu’elles accomplissaient. Qu’importe que le gouvernement britannique ait ordonné de pourvoir à leurs besoins, si on les place dans une atmosphère où elles ne peuvent vivre ? S’imagine-t-on, en faisant chanter aux indigènes des hymnes qu’ils ne comprennent pas, en les assujettissant à des exercices qui leur répugnent, remplacer pour ces enfans des forêts la liberté perdue ? Le goût de la vie sauvage reste au fond de leur cœur. Souvent plusieurs hommes s’enfuient ensemble dans les bois, jetant de côté les habits incommodes dans lesquels on emprisonne leurs membres vigoureux. Nus et loin de leurs surveillans importuns, les voilà heureux pour un jour ! Ces habitudes de marronnage se perpétuent en dépit de toutes les défenses et de tous les châtimens.

Quelques années ont suffi pour démontrer que la population tasmanienne ne pourrait ni se reproduire ni même s’acclimater dans sa prison. Forcée de changer brusquement ses habitudes héréditaires, regrettant sans cesse ses jeux, ses chasses, les montagnes, les ruisseaux, les vallées de la terre natale, elle est condamnée à s’éteindre avec une rapidité qui va bientôt débarrasser le gouvernement anglais d’une tutelle improductive. Sur deux cent dix bannis, cent cinquante-six étaient morts dans un espace de sept ans, de 1835 à 1842. Pour combler ce vide, il n’était né que quatorze enfans. On avait encore amené à l’île Flinders une famille composée de sept personnes, saisie sur la côte occidentale de Van-Diemen, près de la rivière d’Arthur. Une prime de 50 livres sterling avait été offerte pour la capture de ces derniers représentans de la race indigène. On avait dit à ces malheureux, en les arrêtant, qu’ils iraient dans une contrée où le gibier serait plus nombreux et le sol plus fertile ; quand ils furent montés sur le canot des blancs, quand le mal de mer les eut abattus, on les garrotta, et on fit voile pour le poste de la Compagnie agricole, situé à la pointe Woolnorth, où ils furent provisoirement déposés. Derrière cette famille, assure-t-on, il est encore resté un jeune homme oublié sur la terre paternelle. Seul de sa race, de sa couleur et de sa langue, il sera réduit à se cacher dans les forêts reculées,