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sont allés peupler les îles le moins désavantageusement situées du détroit de Bass, et ils ont donné naissance à une race métisse qui présente des germes de vigueur et d’avenir. Placée entre la civilisation et l’état sauvage, presque entièrement séparée du monde par les tempêtes qui l’enveloppent, la population du détroit mène une existence fort indépendante et fort extraordinaire : Pour dissimuler son origine équivoque, elle raconte que, de 1800 à 1805, les îles du détroit de Bass et celles qui font face à l’Australie jusqu’aux golfes Saint-Vincent et Spencer étaient habituellement fréquentées par des navires anglais cherchant des occasions de négoce. Ces lieux rudes et abandonnés auraient séduit un certain nombre de matelots qui obtinrent la permission de s’y établir et reçurent de leur capitaine, en paiement de leur solde arriérée, un canot et quelques provisions. Peut-être cette histoire est-elle vraie ; mais, dans tous les cas, elle n’explique l’origine que d’une petite partie de la population des îles. A côté de ces settlers, qui ne gardent le souvenir d’aucune flétrissure, on compte un grand nombre de convicts en rupture de ban et d’enfans de convicts.

Libres ou repris de justice, comment ces hommes, jetés seuls sur des terres inhabitées, sont-ils parvenus à s’y créer une famille ? Ont-ils, comme les Romains, ravi les filles d’un autre peuple ? Non ; ils ont acheté leurs femmes des indigènes de la côte de Van-Diemen pour quelques os de veaux marins. Maltraitées généralement par les naturels de la Tasmanie, les femmes vendues ne furent pas mécontentes du marché. Leurs nouveaux époux, qui ne les avaient pas prises d’abord avec la pensée de s’y attacher long-temps, les déposèrent dans une île et partirent pour une nouvelle expédition. Trouvant à leur retour leurs cabanes proprement tenues, ils apprécièrent davantage le service de ces femmes, qui les aidaient volontiers dans la manœuvre des bateaux, chassaient le kangourou avec adresse, et possédaient un tact merveilleux pour découvrir le nid des pétrels ou oiseaux des tempêtes, que les settlers appellent aussi oiseaux-moutons (mutton-birds), à cause du goût particulier de leur chair. Les straitmen firent voile dès-lors pour les rivages de l’Australie avec le dessein de se procurer d’autres femmes, soit par la ruse, soit par la force. La polygamie est ainsi devenue parmi eux un usage général. Plus un honnie a de femmes et plus il est estimé, car on le répute plus riche et plus actif. Le straitman vit comme un sultan dans son harem ; il n’est ni moins libre ni moins fier. On doit le dire à l’honneur des premiers settlers des îles, ils n’ont pas négligé l’instruction de leurs enfans ; ils ont eu à cœur de leur apprendre tout ce qu’ils savaient eux-mêmes. La plupart des jeunes et vigoureux mulâtres peuvent lire la Bible, quelques-uns même savent écrire. Quant à la religion, elle se réduit pour eux à, quelques idées confuses où l’on retrouve, avec les souvenirs obscurcis de leurs pères, la croyance à la