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ensuite la réserve même des banques qui ne doit plus servir qu’au roulement des appoints monétaires réduits, en vertu de l’extension de la monnaie de papier, à une faible quotité. L’Angleterre, qui est deux ou trois fois plus riche que nous, a trois fois moins de métaux monnayés.

Mais aussi cette même circulation est le côté vulnérable des banques, et c’est par là que le plus souvent elles ont été forcées, frappées à mort. Les billets de banque ne passent comme de la monnaie que parce que le public peut à volonté les échanger dans les bureaux de la banque contre des espèces sonnantes. Lorsqu’une banque a commis l’imprudence d’en émettre une trop forte quantité, ils lui reviennent inévitablement pour subir l’échange. L’encaisse métallique dont une banque doit toujours être bien pourvue pour faire face à ces demandes de remboursement s’épuise, et la banque ainsi peut se voir exposée même à suspendre ce remboursement. Réduite à cette extrémité, il faut qu’elle cesse ses opérations, et la communauté commerciale tout entière en est ébranlée. Des événemens de force majeure peuvent avoir les mêmes résultats qu’une trop forte émission de billets, en venant tout d’un coup troubler profondément le rapport accoutumé des billets en circulation à l’actif métallique.

Lorsqu’une banque importante est ainsi forcée de suspendre les paiemens en espèces, c’est presque toujours pour elle un malheur dont elle ne se relève pas, et pour la communauté tout entière un dérangement bien fâcheux, quelquefois un désastre. Les États-Unis en ont fait la triste expérience de 1812 à 1819 et de 1837 jusqu’à 1840 au moins. À cette époque, la plupart des banques américaines ont été contraintes à suspendre leurs paiemens en espèces, et un bouleversement des fortunes s’en est suivi. Il faut dire que cette suspension des paiemens de la part d’une banque dominante ou d’un système entier de banques indépendantes n’a jamais eu lieu qu’à la suite de fautes graves dont le pays était plus ou moins complice, dont il avait été ordinairement le provocateur. La suspension dans ce cas est un symptôme du désordre et non pas la cause déterminante. Le symptôme cependant occasionne communément de tels ravages dans l’économie sociale, qu’on doit le regarder comme étant en soi un mal très pernicieux. La perturbation affecte alors le signe représentatif des valeurs, d’autant plus que les billets de banque circulaient en plus grande quantité. Le signe représentatif étant vicié, les transactions s’opèrent sur des bases incertaines, le commerce porte à faux, c’est un jeu et non un cours régulier d’échanges. Il n’en faut pas davantage pour que tout le monde soit ruiné l’un après l’autre[1].

  1. Quand une banque est hors d’état d’échanger les billets contre des espèces, elle doit cesser ses opérations, puisqu’elle n’est autorisée que sous la condition de faire cet échange à la volonté des porteurs de billets, et le public même ne voudrait plus prendre de billets qu’il n’aurait pas la faculté de se faire rembourser ainsi. Cependant, lorsque la banque n’a que de bons effets dans son portefeuille, la liquidation, qui suit naturellement la suspension des paiemens en espèces, doit se faire sans aucune perte, non-seulement pour les porteurs de billets, mais même pour les actionnaires de la banque ; car le gage qui répond des billets émis par la banque, et qui représente le capital de l’institution, se trouve bon. Malheureusement, dans la plupart des cas, lorsqu’une banque en vient à la suspension des paiemens en espèces, c’est qu’elle a déjà fait de mauvaises affaires, et qu’elle a son portefeuille rempli de valeurs plus que douteuses. Alors la liquidation peut ne fournir même pas assez pour rembourser intégralement les porteurs de billets, en sacrifiant complètement les actionnaires. On en a vu de nombreux exemples en Amérique.
    La suspension des paiemens en espèces de la banque d’Angleterre, en 1797, quoiqu’elle ait duré jusqu’en 1823, est un exemple éclatant d’une suspension qui n’a rien fait perdre à personne. C’est que la banque d’Angleterre n’avait dans son portefeuille que d’excellens effets de commerce ou des engagemens de l’état qui étaient parfaitement valables. La solidité de l’esprit public des Anglais empêcha qu’à cet instant critique le moindre sentiment de crainte se répandît. Autrement la panique aurait pu occasionner le renversement de beaucoup de maisons, et par suite la dépréciation des valeurs contenues dans le portefeuille et le discrédit de la banque.