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Tous ces efforts d’une affection austère étaient malheureusement devenus superflus. Un nouveau lien enchaînait à jamais lord Nelson au joug de cette femme artificieuse, qui, après avoir souillé sa glorieuse carrière, devait un jour, infidèle à sa mémoire, traverser les plus rudes et les plus humiliantes épreuves pour aller mourir le 6 janvier 1814, perdue de dettes et de scandales, dans les environs de Calais. Vers le mois de février 1801, un enfant mystérieux avait été porté à l’église paroissiale de Saint-Mary-le-Bone, où il fut enregistré sous les noms d’Horatia Nelson Thompson. Horatia[1], que Nelson n’a jamais cessé de représenter comme sa fille adoptive et à laquelle il prit soin d’assurer une fortune indépendante, était, on n’en saurait douter aujourd’hui, malgré des dénégations inutiles, la fille de lady Hamilton. La naissance de cet enfant, fruit d’un double adultère, resserra des nœuds criminels et acheva de détacher l’amiral de lady Nelson. Il croyait avoir assez fait pour sa femme en lui assignant une pension de 1,800 livres sterling, et son père, déjà brisé par l’âge, son père dont ce chagrin, disait-il lui-même, pouvait abréger les jours, essaya vainement de le ramener vers l’épouse outragée, à laquelle, malgré son aveuglement, il n’avait jamais pu adresser un reproche.

Ce fut à cette époque que Nelson chargea sir William de faire en son nom l’acquisition du joli manoir de Merton-Place, situé à 8 milles de Londres. Son dessein, en achetant cette maison de campagne, était de la laisser après lui à lady Hamilton, et jusque-là d’y vivre avec ses amis sur le pied de la plus intime communauté. Misérable passion ! fatal écueil d’un grand caractère ! Cet homme, auquel le ciel avait départi le génie des combats, que l’Angleterre en ses jours d’alarmes opposait à ses ennemis comme un bouclier, eût vingt fois déserté ce poste d’honneur pour voler à d’indignes amours, si Troubridge et le comte de Saint-Vincent ne l’eussent retenu par leurs supplications. « Votre présence sur nos côtes, lui écrivait ce dernier, a produit un si heureux effet sur l’opinion publique, qu’il est bien désirable que vous puissiez prendre sur vous de renoncer à votre projet de venir à Londres. »

À ces sages remontrances, Nelson répondait par des doléances et des murmures. Il se plaignait du froid, — Troubridge l’engageait à porter des gilets de flanelle ; — du mal de mer, — le comte de Saint-Vincent l’encourageait doucement à prendre patience. « Le commandement dont vous êtes chargé, lui disait-il, ne vous oblige point à tenir la mer par des temps forcés. Ne songez donc pas à le quitter dans un moment où aucun Anglais n’a le droit de refuser ses services à son pays. »

Nelson, repoussé par ses amis, s’épanchait alors avec humeur dans le sein de lady Hamilton. « L’amirauté, lui écrivait-il, n’a ni conscience

  1. Au mois de février 1822, Horatia Nelson épousa le révérend Philip Ward, aujourd’hui vicaire de Tenterden, dans le comté de Kent : elle a eu de cette union huit enfans.