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mais j’ai à peine ce qu’il me faut pour arriver à Beyrouth et y attendre de l’argent.

— C’est bien, me dit-il, je puis vivre ici quelques jours chez les fellahs. J’attendrai qu’il passe un Anglais.

Ce mot me laissa un remords. — Je m’étais éloigné avec le janissaire, qui me guidait à travers les terres inondées en me faisant suivre un chemin tracé çà et là sur les dunes de sable pour gagner les bords du lac Menzaleh. Le temps qu’il fallait pour charger la djerme des sacs de riz apportés par diverses barques nous laissait tout le loisir nécessaire pour cette expédition.


II. – LE LAC MENZALEH.

Nous avions dépassé à droite le village d’Esbeh, bâti de briques crues, et où l’on distingue les restes d’une antique mosquée et aussi quelques débris d’arches et de tours appartenant à l’ancienne Damiette, détruite par les Arabes à l’époque de saint Louis, comme trop exposée aux surprises. La mer baignait jadis les murs de cette ville, et en est maintenant éloignée d’une lieue. C’est l’espace que gagne à peu près la terre d’Égypte tous les six cents ans. Les caravanes qui traversent le désert pour passer en Syrie rencontrent sur divers points des lignes régulières, où se voient, de distance en distance, des ruines antiques ensevelies dans le sable, mais dont le vent du désert se plaît quelquefois à faire revivre les contours. Ces spectres de villes dépouillées pour un temps de leur linceul poudreux effraient l’imagination des Arabes, qui attribuent leur construction aux génies. Les savans de l’Europe retrouvent en suivant ces traces une série de cités bâties au bord de la mer sous telle ou telle dynastie de rois pasteurs ou de conquérans thébains. C’est par le calcul de cette retraite des eaux de la mer aussi bien que par celui des diverses couches du Nil empreintes dans le limon et dont on peut compter les marques en formant des excavations, qu’on est parvenu à faire remonter à quarante mille ans l’antiquité du sol de l’Égypte. Ceci s’arrange mal peut-être avec la Genèse ; cependant ces longs siècles consacrés à l’action mutuelle de la terre et des eaux ont pu constituer ce que le livre saint appelle « matière sans forme, » l’organisation des êtres étant le seul principe véritable de la création divine.

Nous avions atteint le bord oriental de la langue de terre où est bâtie Damiette ; le sable où nous marchions luisait par places, et il me semblait voir des flaques d’eau congelées dont nos pieds écrasaient la surface vitreuse ; c’étaient des couches de sel marin. Un rideau de joncs élancés, de ceux peut-être qui fournissaient autrefois le papyrus, nous cachait encore les bords du lac ; nous arrivâmes enfin à un port établi