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Dans la situation nouvelle que fait au cabinet impérial sa constante appréhension pour la Pologne, il n’a plus qu’un rôle de longue expectative à jouer dans l’empire ottoman. Il suffit aux intérêts de sa politique qu’il y fasse de temps en temps acte d’héritier présomptif, comme à Unkiar-Skelessy, et nul n’est plus intéressé que lui à retarder l’ouverture de la succession. D’ailleurs, depuis vingt ans, la catastrophe qui menace l’empire ottoman est devenue moins imminente, et il est naturel que, sans abdiquer son avenir en Orient, la Russie l’ait ajourné pour se préoccuper spécialement de l’Europe. La France a donc perdu le point qui pouvait la rapprocher de la Russie, elle n’est plus en contact avec elle que par celui qui l’en éloigne, et tout rapprochement entre les deux cabinets demeurera impossible tant qu’à Pétersbourg on sera contraint de s’occuper des événemens imminens sur la Vistule plutôt que des éventualités qui peuvent naître sur le Bosphore. Lorsque l’on disserte à perte de vue sur l’alliance russe, on entretient donc le pays d’une chimère véritable, car cette idée ne peut avoir quelque consistance que dans un passé qui n’est plus ou dans un avenir que rien ne peut aujourd’hui faire pressentir. Un grand peuple immolé élève la plus infranchissable des barrières entre ses oppresseurs qui épient son dernier souffle et la France qui attend sa renaissance. L’obstacle est là beaucoup plus que dans la révolution de 1830. La maison impériale de Russie ne saurait avoir, relativement au droit de successibilité au trône, aucun de ces scrupules qu’on lui prête avec tant de complaisance, car il n’est guère de règne dans son histoire dont l’origine ne cache des faits plus irréguliers que celui contre lequel on lui suppose une invincible antipathie.

Ainsi l’isolement de la France parmi les grandes puissances continentales est un fait qui persistera tant que la situation du monde n’aura pas été violemment changée. L’Autriche et la Prusse redoutent tout ce qui serait de nature à modifier les stipulations sur lesquelles repose l’état territorial de l’Europe, et la Russie ajourne des desseins qu’en face de la Pologne encore vivante la France ne saurait seconder sans abdiquer l’honneur. Elle est donc seule dans le monde avec le sentiment de sa force et le souvenir des traitemens sévères qui lui ont été infligés. Entre elle et le continent, l’antagonisme est inévitable.

Comment la paix générale a-t-elle résisté si long-temps à cette violente épreuve ? Il faut sans doute attribuer une grande part dans ce résultat aux appréhensions des uns, à la prudence des autres et à la constante pression exercée sur les cabinets par les intérêts financiers qui les dominent ; mais il est juste de l’attribuer surtout à la situation prise par l’Angleterre entre la France et les trois grandes cours continentales, et à ce qu’on est convenu d’appeler, depuis seize ans, l’alliance anglaise.

La Grande-Bretagne est placée dans une position singulièrement