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ment qui délivra la Prusse de l’invasion. C’est le faible ou l’habileté des princes allemands de réveiller toujours ces souvenirs hostiles à la France pour provoquer chez leurs sujets des colères qui n’ont plus de raison, puisqu’elles s’attaquent à des passions qui n’existent plus. C’est un artifice maintenant connu, mais qu’ils exploitent toujours afin d’entretenir entre les deux pays une sourde mésintelligence dans laquelle ils trouvent pour leur compte une garantie de domination. Il est à regretter que le roi Frédéric-Guillaume ait abusé de cet expédient. Lorsqu’en 1840 il rappelait le vieil Arndt dans sa chaire de Bonn, lorsqu’en 1845 il portait à la reine d’Angleterre ce toast un peu juvénile qui faisait du nom de Victoria comme un cri de défi, son idée était toujours la même, et cette idée-là perce encore trop par malheur dans les ordonnances du 3 février : pour mieux commander à l’Allemagne, il s’efforce de lui montrer des libertés qui ne soient point françaises, une France qui ne soit point la France pacifique d’aujourd’hui.

Si l’Allemagne se trompe sur cette intention très marquée du roi de Prusse, c’est qu’elle le voudra bien. L’article explicatif des ordonnances publié par la Gazette d’État n’est guère qu’un commentaire anti-français, et l’on en devine facilement l’auteur au zèle tout paternel avec lequel il approuve le texte qu’il commente. On peut lire là qu’il était absurde d’attendre en Prusse quelque chose qui ressemblât aux chartes constitutionnelles de l’Europe occidentale, et nulle part ne se montre un dédain plus superbe pour le mécanisme sur lequel repose tout leur édifice. Prendre en masse la population d’un pays pour répartir également le nombre des représentans suivant le nombre des représentés, parce qu’on suppose à tous les citoyens la même valeur politique et sociale, ce n’est là qu’un système artificiel doué de la vie factice des révolutions ; maintenir au contraire les divisions antiques des provinces et des ordres, donner des organes aussi distincts que possible aux intérêts rivaux des castes et des localités sans en laisser de certains à l’intérêt national et universel, c’est là ce qui s’appelle développer les institutions dans leur sens naturel, légitime et divin ; t’est le triomphe de cette école historique dont nous avons parlé si souvent, école prétentieuse et fastueuse qui veut porter l’archéologie dans la politique et renouveler le présent en le modelant sur le passé ; école trompeuse qui crie plus haut que personne le nom sonore de la liberté, parce qu’elle entend sous ce nom-là tout l’opposé de ce que réclame ce temps-ci. Voyez en effet ce que c’est qu’une constitution historique ! elle n’est gravée ni sur le bronze ni sur les parchemins, on nous l’a dit assez ; elle est tout entière dans le cœur de celui qui la jure, dans le cœur de ceux qui la reçoivent ; elle est dans la responsabilité du monarque devant Dieu, dans la fidélité sainte des ames allemandes. Sortons de la poésie et touchons le réel : cela signifie qu’au lieu d’un peuple délibérant et votant sur ses propres affaires, il n’y aura qu’un peuple muet et consulté par grace, suivant le bon plaisir d’un prince absolu ; qu’au lieu d’atteindre cette virilité qui fait l’honneur des grandes nations, la nation prussienne demeurera sous la tutelle dont ses lumières et sa sagesse n’ont encore pu l’affranchir.

Les ordonnances du 3 février complètent le système beaucoup plus qu’elles ne le réforment ; les diètes provinciales, telles qu’elles ont été organisées en 1823 et en 1842, restent la base de cette sorte de gouvernement représentatif qui va