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dans toutes ces inventions romanesques un dernier souffle de gloire ; c’était le finale adouci d’un grand air de bravoure, et, quoiqu’il se mêlât à cette exaltation beaucoup de fausses langueurs, on y voyait aussi la trace d’illusions généreuses ; n’en cherchez point de pareilles sous ces lourds systèmes dont notre petite réaction nobiliaire et dévote s’est chargée de bâtir la fortune. Le bon vieux temps a maintenant des adorateurs moins naïfs sans qu’ils soient moins ennuyeux, plus affectés sans plus de savoir, plus dangereux en somme malgré l’impuissance pratique de leurs théories. Ceux-là pour sûr ne pincent point de la lyre ; ils pâlissent, croyez-les, sur les chartes et les manuscrits ; ils s’abîment dans les in-folio, et, ne lisant jamais les auteurs de seconde main, ils font toutes leurs découvertes aux sources mêmes, aux pures sources de la science. Ils affichent le plus souverain mépris pour la légèreté des études nationales ; parlez-leur des maîtres d’outre-Rhin ! Que ne connaissez-vous l’allemand comme ils le connaissent ? C’est avec les doctrines allemandes qu’il faut fouiller l’histoire de France pour la bien comprendre ; nous n’entendons rien au passé de notre pays, parce que nous avons l’entêtement de vouloir toujours y regarder avec les yeux de chez nous. Ah ! si nons jugions avec les affections germaniques, les belles choses qui nous apparaîtraient dans ce livre jusqu’à présent fermé ! nous réussirions enfin à regretter tout ce que nous avons perdu en laissant tomber sous les coups du despotisme monarchique cette forte organisation du clan, de la tribu et du fief ; nous goûterions par une jouissance rétrospective les bonheurs intimes de la famille féodale ; nous serions presque tentés d’invoquer encore la protection des fiers châteaux, dont il ne reste malheureusement que les ruines, pour nous dérober à ces modernes oppresseurs, que l’on nomme du nom prosaïque de percepteurs, de substituts et de sous-préfets ! Les chers seigneurs d’autrefois allaient bien, il est vrai, par hasard battre ou détrousser les pauvres gens, et, comme dit la vieille chanson de Hans Sachs, « pendant qu’ils se promenaient sur la route, leur cheval mordait par distraction la poche des marchands. » - Bagatelle après tout ! ils tenaient si galamment à distance et le roi et les commis du roi.

Sommes-nous au bout ? Non point en vérité. Ces feudistes de singulière espèce qu’une vogue de circonstance nous amène au pinacle, ce ne sont pas seulement des savans très profonds et surtout très raisonnables : ils pensent bien, comme on dit aujourd’hui de quiconque enseigne qu’il faut peu penser ; il leur vient à tout propos les idées les plus convenables sur l’infirmité de l’esprit humain. Possédant à fond la géologie, l’ethnographie et la linguistique, ils s’en servent avec une adresse particulière pour embellir leurs plus ordinaires travaux de cette couleur d’orthodoxie devenue maintenant d’une si grande