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eaux troubles de la Durance, qu’il reçoit déjà par la branche méridionale du canal des Alpines, y compléteront les atterrissemens commencés par la mer.

Au-delà, le canal pénètre en tranchée dans le poudingue calcaire et n’en sort qu’à son débouché dans le port de Bouc ; dans ce passage, il côtoie le singulier gisement des étangs de Rassuin, de Citis, du Pourra, d’Engrenier, de la Valduc. Ce sont, comme nous l’avons vu, les restes épars de l’ancien golfe qui s’allongeait au nord de celui de Foz. Dans le cataclysme au milieu duquel s’est formé le terrain de la Crau, la coulée de poudingues a enveloppé ces nappes d’eau salée et les a complètement isolées de la mer. Les pluies ne leur rendent pas ce qu’elles perdent par l’évaporation, et leur niveau est descendu au Pourra à 5 mètres 60 centimètres, à Engrenier à 7 mètres 15 centimètres, à la Valduc à 8 mètres 12 centimètres au-dessous de celui de la mer. Chacune de ces cuvettes est un creuset naturel sur lequel le soleil et le mistral exercent, au profit de l’industrie de l’homme, leur puissance d’évaporation. La compagnie du plan d’Aren afferme la Valduc 80,000 fr. par an. C’est le mieux placé, le plus étendu des étangs, et la salure y est sextuple de celle de la mer. On calcule qu’il contient aujourd’hui, sur une étendue de 345 hectares, 28 millions de mètres cubes d’eau, et 420 millions de kilogrammes de sel, c’est-à-dire l’équivalent de deux années de la consommation de la France entière. Des salines et des fabriques de produits chimiques considérables se sont établies dans des conditions analogues sur les étangs de Citis, de Rassuin, et ce lieu de désolation est devenu l’un des points de la France où le travail de l’homme est le plus énergique et le plus fécond.

Parvenus au port de Bouc, ne nous arrêtons pas aux constructions qui commencent à s’élever autour.

A Versoix, nous avons des rues,
Mais nous n’avons pas de maisons,


disait Voltaire d’une des créations du ministère du duc de Choiseul. A cela près qu’à Versoix les rues étaient nivelées et qu’on y avait fait quelques simulacres de pavé, cet état est exactement celui de la future ville de Bouc. Tournons plutôt nos regards du côté opposé à celui d’Arles, vers cette mer intérieure qu’on appelle fort injustement l’Étang de Berre, et où M. de Corbière se permettait à peine, en 1820, de supposer que la navigation pourrait avoir lieu[1].

A 6 kilomètres du port de Bouc apparaît la mer de Berre, étendue de dix lieues carrées, offrant, sur un développement de 70 kilomètres de côtes, des abords faciles, et sur les quatre cinquièmes de sa surface une

  1. Tableau de la Navigation intérieure de la France, annexé au rapport du ministre de l’intérieur du 16 août 1820. In-4°. I. R. 1820.