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THÉODORIC ET BOËCE.

n’oubliez pas que nous n’appelons gain que le profit légitime ; qu’il nous importe moins de gagner notre procès que de le gagner justement, et même que c’est un triomphe pour nous de perdre une mauvaise cause. » — Des chefs ostrogoths avaient tenté des usurpations sur des biens appartenant à l’église. Théodoric écrit (qu’on n’oublie pas que c’est un roi arien qui parle) : « La tranquillité des sujets fait l’honneur des princes, et celle de l’église y ajoute les miséricordes divines ; vous aurez donc à protéger avec grand soin en Sicile les biens et les personnes dépendantes de l’église de Milan, sur la requête que nous adresse le bienheureux évêque Eustorge. » — Voici des conseils plus généraux adressés par Théodoric aux gouverneurs des provinces, des instructions ministérielles, comme on dirait aujourd’hui : « Protégez la province par les armes, gouvernez-la par le droit ; faites ressortir de plus en plus la différence qu’il y a entre les barbares et les Goths, chez qui brille, avec la valeur native, la prudence des Romains ; revêtez les mœurs de la toge, dépouillez celles de la barbarie, et qu’au lieu de se plaindre d’avoir été placés sous notre empire, les peuples, jouissant d’un bonheur qu’ils ne connaissaient plus que de nom, n’aient qu’un regret, celui d’avoir été soumis trop tard par nos armes. » Ces paroles contiennent toute la pensée politique de ce règne : en demandant à ses guerriers d’allier à leur valeur native la prudence des Romains, Théodoric pouvait songer à lui-même ; c’est bien la grandeur telle que la définit Pascal : « On ne montre pas sa grandeur pour être en une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois et remplissant tout l’entre-deux. »

Nous pourrions multiplier ces exemples ; nous pourrions suivre l’auteur dans la comparaison qu’il établit entre les trois principales législations des barbares aux Ve et VIe siècles : la loi Gombette, la loi salique, et l’édit de Théodoric, qui devint le premier élément de la célèbre loi des Visigoths. De cet examen ressortirait l’incontestable supériorité de cette dernière. La loi salique n’est guère qu’un code pénal ; sur plus de quatre cents articles, les trois quarts renferment exclusivement des pénalités ; encore n’y trouve-t-on que les premiers rudimens de toute législation naissante. Le crime n’est considéré comme crime que par rapport à l’individu ; toute la sévérité de la loi s’épuise à son profit c’est le premier pas hors de l’état sauvage. La loi prend à sa charge les vengeances particulières ; de là le principe de la composition, du rachat du crime, moyennant une certaine somme payée par le coupable à l’offensé ou à sa famille ; mais le législateur ne s’élève point encore à l’idée générale du crime qui attaque la société et du châtiment qui doit le suivre : il ne voit dans les déréglemens de la liberté individuelle qu’une atteinte aux intérêts privés. Il ne s’est point constitué le défenseur de l’ordre social ; on peut même dire que l’idée, de cet ordre