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Théodoric ne s’était jamais fait illusion sur ce point ; tout porte à croire que son esprit politique, d’une tolérance inconnue dans ces temps, eût supprimé l’obstacle, si la solution eût pu appartenir à lui seul et s’il n’eût eu affaire qu’à ses propres scrupules ; mais tout rapprochement avec l’église de Rome l’eût séparé de ses sujets. Henri IV put acheter Paris au prix d’une messe, sans s’aliéner la fidélité de ses braves compagnons. Théodoric était moins libre ; s’il eût accepté le dogme de la Trinité, rejeté par Arius, ses peuples se seraient soulevés contre l’idolâtre. Tout ce que pouvait faire alors un esprit politique et sage, Théodoric le fit ; il resta tolérant dans un siècle pour lequel la tolérance semblait une vertu inconnue, impraticable : ce n’était qu’en développant, en exaltant le sentiment religieux, que l’église faisait dans les ames ces grandes révolutions qui peuplaient les déserts de chrétiens et créaient alors au cœur même de l’Italie les premiers de ces ordres monastiques qui devaient plus tard couvrir le monde et le gouverner. Rome était d’ailleurs le centre et le siège de cette église universelle qui ne pouvait accepter sincèrement la domination d’un roi hérétique ; cette église était victorieuse et triomphante partout, excepté là même où il avait été promis aux apôtres que serait établi le trône de leurs successeurs ! Clovis venait d’embrasser le catholicisme et de se jeter dans les bras des évêques ; pour eux, il était le vrai empereur d’Occident. Les Bourguignons n’avaient pas tardé à suivre cet exemple. L’empire d’Orient, un instant égaré par les doctrines d’Arius, était revenu au dogme de la vraie foi. Cette monarchie arienne des Goths, de toutes parts enveloppée par des royaumes catholiques, offrait une étrange anomalie. Après trente ans de règne, Théodoric entrevoyait que tout ce qu’il avait fondé pouvait être remis en question à sa mort, de son vivant peut-être ; il se livrait à ces pressentimens sinistres : qui assiègent souvent les grands hommes à l’heure même où la multitude croit leur œuvre consommée et immortelle.

À ce moment même, l’empereur Justin commença contre les ariens, restés dans ses états, une cruelle persécution : leurs églises furent fermées, leurs prêtres emprisonnés ou mis à mort. Théodoric se sentit atteint ; il comprit que ce n’était pas tant à un petit nombre d’ariens, épars dans l’empire, qu’on en voulait qu’à lui-même, chef de la monarchie arienne ; il, réclama de l’empereur pour ses coreligionnaires, dont la plupart étaient aussi ses compatriotes, la tolérance dont il avait usé envers des catholiques. Justin repoussa avec hauteur cette intervention. Théodoric, irrité, appelé à grands cris par les ariens proscrits, parlait de marcher sur Constantinople, lorsque, regardant autour de lui, il vit qu’au lieu de songer à protéger les autres, il fallait se défendre contre des ennemis plus proches et plus dangereux. Cette conspiration