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moyen-âge dans les récits des croisades ; le Caire fut long-temps le siége de cette franc-maçonnerie extraordinaire, dans laquelle on finissait par enseigner aux initiés, comme révélation suprême, le néant de toutes les croyances religieuses, l’indifférence du bien et du mal, doctrine qui se résumait dans cette maxime d’une effroyable audace : Rien n’est vrai, tout est permis. La grande loge, qui s’appelait maison de la sagesse, était au Caire ; elle possédait d’immenses richesses et commandait à de nombreux adeptes qu’elle dispersait dans tout l’Orient. Cette étrange institution avait pour but politique d’élever au califat la dynastie fatimite qui régnait en Égypte. C’était un carbonarisme égyptien fondé sur un athéisme philosophique, et qui se proposait pour fin la conquête de la suprématie musulmane. M. de Hammer y voit un reste des anciennes initiations égyptiennes ; mais ces doctrines, si monstrueuses qu’elles soient, sont trop semblables à celles qui furent professées durant les premiers siècles de l’hégire dans diverses parties de l’Asie par les karmathes et d’autres sectaires, qui tous niaient de même la vérité de l’islamisme et la distinction du bien et du mal, pour qu’il y ait lieu d’aller chercher l’origine des initiations ismaéliennes du Caire dans les problématiques initiations d’Héliopolis.

Aux Fatimites succédèrent les Ayoubites, célèbres en Occident par le nom de Saladin, qui montra dans sa personne l’alliance des qualités chevaleresques avec les mœurs et la foi musulmanes. Ce nom est encore présent ici ; Saladin a construit les fortifications et la citadelle du Caire ; il a fait creuser ce fameux puits au fond duquel un âne peut descendre. Il y en a un semblable en Italie, à Orvieto. Comme il s’appelait Yousouf (Joseph), la tradition l’a souvent confondu avec le ministre de Pharaon, et attribué à celui-ci ce qu’a fait le contemporain de Richard Cœur-de-Lion. Les arts florissaient au Caire sous Saladin. Il envoya une horloge à roues à l’empereur Frédéric II. Ce n’était pas une ame commune, celle du prince qui faisait porter devant lui, en guise d’étendard, son drap mortuaire, tandis qu’un crieur disait au peuple Voilà tout ce que Saladin emportera de ses conquêtes.

Alors on voit paraître une première fois les Français sous les murs du Caire. Amaury, roi de Jérusalem, avait disputé l’Égypte au père de Saladin. Il avait marché sur le vieux Caire, que ses habitans brûlèrent comme de nos jours les Russes ont brûlé Moscou. Les troupes françaises, alliées aux troupes égyptiennes, virent les pyramides ; plus tard, les désastres de saint Louis excitèrent au Caire une grande joie, et, à, cette occasion, on chanta, dans les rues de cette ville, des vers qui existent encore.

Deux dynasties de Mamelouks ont régné au Caire. Mamelouk est synonyme d’esclave ; ce n’est qu’en Orient qu’on peut trouver des dynasties d’esclaves. Du reste, les Mamelouks, primitivement achetés, il est vrai,