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la nature humaine, les racines profondes qu’elle a dans le cœur même de l’homme et dans le sein de la famille, c’est là, ce que M. de Courson a découvert, c’est son bien, sa chose, et, pour établir sa propriété, rien ne lui coûte. S’il n’a pas publié avant tel ou tel, il a pris date avant tout le monde comme un vaudevilliste qui retient une idée ; il est sans cesse préoccupé de se citer lui-même ; il a directement inspiré tout ce qu’il y a de bon parmi les contemporains[1]. Quant aux anciens, il marche à coup sûr leur égal. M. le comte de Boulainvilliers avait, il est vrai, au lendemain de la mort de Louis XIV, publié quelque part une Histoire de l’ancien gouvernement de France ; mais qui est-ce qui a lu Boulainvilliers ? Montesquieu n’était pas non plus très défavorable aux grands seigneurs ; il avait du génie, mais quelquefois bien de la légèreté. M. de Montlosier était certainement un fier et fougueux gentilhomme, mais il y a sur lui beaucoup à dire : il n’aimait pas les jésuites. M. de Courson aspire à continuer l’œuvre de ces nobles devanciers en évitant leurs faiblesses et en ouvrant davantage l’horizon de la science ; il a surtout besoin de s’attaquer à « cette conspiration qui lutte en France contre la vérité pour légitimer, que dis-je ? pour magnifier tout ce qui s’est passé dans ce pays depuis trois siècles. » - « L’un des plus grands jurisconsultes d’Allemagne lui mandait l’an dernier : Eh bien ! n’y a-t-il pas assez long-temps que les institutions antiques de votre pays gisent dans la poussière, et vos légistes et vos publicistes ne se décideront-ils pas à déposer la plume du journaliste pour prendre enfin celle du critique et de l’homme d’état ? » Qu’ils se décident ou non désormais, la besogne est faite et parfaite ; M. de Courson les a distancés la France possède enfin son critique homme d’état, et « le grand jurisconsulte allemand » daignera sans doute la traiter de moins haut.

Parlons tout de bon. La gloire de notre nouvelle école historique, c’est justement cette impartialité studieuse qu’elle a portée dans ses travaux sur le moyen-âge ; c’était, du reste, une impartialité facile, parce qu’elle ne tirait point à conséquence ; c’était la sérénité d’un victorieux bien assuré de sa victoire. Venant, par impossible, avant la bataille, une si froide équité fût venue fort mal à propos. Lorsque Mably écrivait ses Observations à la fin du XVIIIe siècle, il n’eût pas été cet esprit enthousiaste et austère qu’il était, il n’eût point exalté les têtes comme il fut bon qu’il les exaltât, s’il n’avait voulu trouver à toute force d’excellens républicains dans les forêts germaines et dans les municipes gaulois, s’il n’avait maudit et détesté de si grand cœur cet établissement féodal,

  1. Il en est du livre de M. Laferrière comme du livre de M. Lehuërou ; c’est une infiltration secrète de celui de M. de Courson. M. Laferrière, qui n’a certes pas l’air de s’en apercevoir, a pourtant « fait à M. de Courson l’honneur de lui emprunter plusieurs idées fondamentales ; » il lui a du moins laissé son tableau des divisions de la Gaule après la chute de l’empire.