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élevé sur les deux rives de l’Arve ; à droite, au-dessus des rochers dont les parois escarpées plongent dans le torrent, j’ai trouvé des roches polies et des blocs erratiques jusqu’à la hauteur de 758 mètres au-dessus du pont Pélissier. A gauche, non loin du col de la Forclaz, les blocs s’élevaient à la hauteur de 683 mètres. Ces deux points, situés vis-à-vis l’un de l’autre, sont séparés par une distance horizontale de 4 kilomètres au moins. Le glacier avait donc une lieue de large dans ce point, et sa puissance moyenne était de 720 mètres (2 215 pieds) au moins ; car, dans ce genre de mesures, on n’a jamais la certitude d’avoir suspendu le baromètre précisément au-dessus de la dernière roche polie ou auprès du dernier bloc erratique[1].

Au-delà du village de Servoz, les traces du glacier de l’Arve (c’est le nom sous lequel nous le désignerons désormais) disparaissent pendant quelque temps. On passe en effet sur d’effroyables éboulemens qui ont enseveli les roches moutonnées et les blocs de la moraine sous une couche épaisse de décombres. Un de ces éboulemens, celui de 1751, fut accompagné d’un bruit si formidable et d’un nuage de poussière tellement noir, que les autorités de la ville voisine envoyèrent un courrier à Turin pour annoncer qu’un volcan s’était ouvert dans les Alpes.

Sur la rive gauche de l’Arve, les traces de l’ancien glacier n’ont point été masquées comme sur la rive droite. Si l’on suit le chemin qui mène du village de Chède aux bains de Saint-Gervais, on retrouve les blocs de protogine aux bords du torrent, à la sortie de la gorge étroite d’où il s’échappe pour entrer dans la vallée de Sallenches. Un de ces blocs est surmonté d’un pigeonnier qui le signale de loin à l’attention des voyageurs.

Les bains de Saint-Gervais sont situés à l’extrémité de la vallée de Montjoie, qui côtoie le flanc occidental du Mont-Blanc et vient couper celle de l’Arve sous un angle presque droit. Le torrent du Bonnant, qui forme derrière les bains une cascade célèbre parmi les touristes, coule dans le fond de la vallée. Si la théorie de l’ancienne extension des glaciers n’est point une vaine hypothèse, la vallée de Montjoie devait, comme celle de Chamonix, donner issue à un glacier, et à son point de rencontre avec celui de l’ Arve nous devons retrouver les traces des phénomènes qui se passent sur les glaciers actuels à la jonction de deux afflueras. Si ces affluens sont d’égale force, ils se réunissent et marchent parallèlement l’un à côté de l’autre ; mais, s’ils sont de grandeur inégale, le plus petit est refoulé par le plus grand, et forme seulement une espèce de coin qui pénètre plus ou moins dans le glacier principal. La réunion des glaciers du Lauteraar et du Finsteraar est un exemple d’un

  1. Cette épaisseur n’a rien de surprenant, si l’on réfléchit que celle du glacier actuel de l’Aar près de l’Abschwung est de 400 mètres au moins.