Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gènes. C’est là un point sur lequel les lettres dont nous parlons sont unanimes, et, tout en faisant la part de l’enivrement où se laissent aller ceux qui viennent de faire la guerre, on doit reconnaître que cette opinion est fondée. Cette attitude, conquise par des démonstrations hardies, s’est conservée jusqu’au mois de novembre, époque des dernières nouvelles. Les troupes de la garnison occupaient les points principaux du littoral, et les indigènes opposans, obligés de se réfugier dans l’intérieur, n’osaient plus se montrer qu’à de rares intervalles. De nombreuses adhésions au gouvernement du protectorat avaient eu lieu. La situation, quoique difficile encore, s’était donc améliorée, et on espérait que le gouvernement se déciderait à envoyer un renfort de troupes, afin d’achever une pacification déjà avancée. « Quand les Indiens, écrit-on, auront définitivement l’assurance que nous voulons être forts et que nous resterons à Taïti, ils se soumettront. Nos partisans, qui augmentent tous les jours depuis nos succès, s’affermiront ; les incertains, qui sont nombreux, se décideront ; les opposans fléchiront sous la nécessité. Qu’on n’hésite donc plus, car il vaudrait mieux abandonner que de rester ainsi. » On voit que la même question se présente partout où l’on veut s’établir. Il faut s’y attendre, et le mal est, ou de ne pas l’avoir prévu, ou de s’en plaindre quand on a pris l’initiative de l’occupation. Il est donc à désirer, si l’on n’abandonne pas Taïti, que l’on persiste dans cette entreprise avec des forces suffisantes. La question paraît trop engagée pour prendre le parti de l’abandon. S’il y a certains inconvéniens, n’y a-t-il pas aussi des avantages réels à se maintenir où l’on s’est établi ? Il faut ici faire les choses nécessaires avec autant de résolution et de persévérance que de modération et de réserve.

À chaque session, dès que les débats de l’adresse sont terminés, la chambre des députés prend une autre physionomie. On se repose des émotions qu’ont données les luttes politiques. Plus de séances publiques pendant plusieurs jours ; on ne se réunit que dans les bureaux ; les commissions travaillent. C’est le tour des affaires. Quelques lois urgentes ont déjà été votées, notamment celle qui augmente de seize mille hommes l’effectif. La chambre a aussi annulé l’élection de M. Drouillard ; le verdict du jury avait dicté d’avance la décision du parlement, qui ne s’est point fait attendre et a été rendue à l’unanimité. C’est quelque chose d’assez nouveau dans nos mœurs publiques que l’éclat et la solennité qui viennent de s’attacher à une accusation de corruption. Sans doute les articles de loi qui ont été appliqués par la cour d’assises de Maine-et-Loire ne sont pas nouveaux, mais ils sommeillaient pour ainsi dire dans le Code pénal. On sait aujourd’hui quelles répressions et quelles peines on peut demander à la justice du pays. Il faut s’attendre à voir les partis chercher les uns contre les autres à se faire une arme des sévérités long-temps oubliées de la législation. La grave question de la corruption politique reviendra devant la chambre, quand celle-ci s’occupera de la proposition que vient de déposer M. Duvergier de Hauranne. L’honorable député a reproduit dans cette proposition les conclusions principales du remarquable livre qu’il vient de publier. Ces conclusions, que nous avons déjà fait connaître à nos lecteurs, seront un thème inépuisable de débats parlementaires, surtout quand on y joindra la question des incompatibilités que doit présenter de nouveau M. de Rémusat. Ces deux propositions touchent à tous les principes fondamentaux du gouvernement représentatif, et, ce qui n’est pas moins grue, à des habitudes enracinées, à des droits acquis et jaloux. Les